Le festival du film de Berlin, l’un des plus importants en Europe avec Cannes et Venise, a couronné samedi soir « Synonymes » de l’Israélien Nadav Lapid, un film critique sur son pays, dont le personnage principal est un jeune qui s’expatrie en France et refuse de parler hébreu.
« +Synonymes+ est un film qui pourrait être considéré comme un scandale en Israël. Certains en France aussi pourraient aussi être scandalisés », a déclaré Nadav Lapid en recevant son prix.
« Mais pour moi, ce film est aussi une célébration, du cinéma aussi. Et j’espère que les gens pourront comprendre que la fureur, la rage, l’hostilité, la haine et le mépris arrivent seulement entre frères et sœurs, quand il y a un attachement solide et de fortes émotions », a ajouté le cinéaste de 43 ans, connu pour ses films « Le Policier » et « L’Institutrice ».
Questionnement sur l’identité, « Synonymes » est inspiré de la vie du cinéaste à Paris au début des années 2000.
Son personnage, incarné par la révélation Tom Mercier, décide de rejeter sa culture et sa langue, d’apprendre le français dans un dictionnaire et de se faire adopter par la France, avant d’en découvrir aussi des aspects moins plaisants.
« Je crois que d’une certaine manière, le film parle d’être Israélien dans un moment où on ne peut pas l’être. Je crois qu’Israël est un pays qui exige de vous un amour absolu, total, sans concession », a expliqué le réalisateur à l’AFP.
Le Grand Prix du jury est revenu à « Grâce à Dieu » de François Ozon, sur les scandales de pédophilie dans l’Eglise catholique.
Il raconte l’histoire vraie de trois victimes dans le scandale Barbarin, du nom du cardinal de Lyon jugé dans cette affaire, soupçonné d’avoir couvert des abus sexuels présumés commis par un prêtre français, le père Preynat.
« Ce film essaie de rompre le silence d’institutions puissantes », a souligné François Ozon. « Je veux partager ce prix avec les victimes d’abus sexuels ».
Les prix d’interprétation sont revenus aux deux acteurs du film chinois « So Long, my son » de Wang Xiaoshuai (« Beijing bicycle »), long métrage sur l’impact de la politique de l’enfant unique dans le pays.
La Chinoise Yong Mei et le Chinois Wang Jingchun y incarnent un couple marqué par la perte d’un enfant, dont le film raconte l’histoire sur trois décennies après la Révolution culturelle, des années 1980 aux années 2010.
La présidente du jury, l’actrice française Juliette Binoche, a « regretté », au nom du jury, qu’un autre film chinois, « One second » du vétéran Zhang Yimou – Ours d’or à Berlin en 1988 pour « Le Sorgho Rouge » – ait été retiré au dernier moment de la compétition, officiellement pour des « raisons techniques », mais officieusement en raison de la censure dans son pays.
« Zhang a été une voix essentielle dans le cinéma », a-t-elle dit. « Nous avons besoin d’artistes qui donnent du sens à l’Histoire », a-t-elle ajouté, soulignant que le jury espérait voir le film « sur les écrans du monde entier très bientôt ».
Alors que cette année, sept films sur 16 en compétition avaient été faits par des femmes – un niveau inédit dans la compétition berlinoise -, l’Ours d’argent de la réalisation est revenu à l’Allemande Angela Schanelec pour son film « I was at home, but », sur l’histoire d’une famille après la disparition temporaire du fils.
Le prix Alfred Bauer, qui récompense un film ouvrant de nouvelles perspectives dans le 7e Art, est revenu également à un film allemand, « System Crasher » de Nora Fingscheidt, tandis que le prix du scénario a été décerné à l’italien « Piranhas » de Claudio Giovannesi, sur les gangs de jeunes à Naples.
L’écrivain anti-mafia Roberto Saviano, qui a co-écrit ce film, tiré d’un de ses livres, a dédié ce prix aux « ONG qui sauvent des vies en Méditerranée ». « Dire la vérité dans notre pays est devenu très complexe, donc merci », a-t-il ajouté.
Un hommage a été rendu au début de la cérémonie à l’acteur suisse Bruno Ganz, mort samedi à 77 ans à Zürich, connu notamment pour son rôle d’ange dans le film « Les Ailes du désir » de Wim Wenders en 1987