Union Africaine : le Maroc à la manœuvre

Un retour du royaume au sein de l’organisation panafricaine ? Lors du 27e sommet de l‘UA, à Kigali, un message de Mohammed VI en ce sens a été remis aux États membres. Une seule condition : que la RASD soit suspendue. C’est loin d’être fait.
Des cris de joie interrompent le ronronnement paisible d’une terrasse d’un grand hôtel kigalois. Les Marocains Taïeb Fassi-Fihri et Nasser Bourita jubilent en cette soirée du 18 juillet, jour de clôture du 27e sommet de l’Union africaine (UA). Sur une table en verre, posé devant eux, un document plastifié, que le conseiller du roi Mohammed VI (M6) et le jeune ministre délégué aux Affaires étrangères s’empressent de mettre à l’abri des regards indiscrets.

Il s’agit d’une motion signée par 28 pays africains qui « saluent la décision du royaume du Maroc d’intégrer l’UA, entendent œuvrer pour que ce retour légitime soit effectif dans les meilleurs délais et décident d’agir en vue de la suspension prochaine de la République arabe sahraouie démocratique [RASD] des activités » de l’organisation. Le porte-parole des « 28 », le président gabonais Ali Bongo Ondimba, ne tarde pas à faire son apparition. Il vient parapher un document de synthèse qui sera adressé à la présidente de la Commission de l’UA, Nkosazana Dlamini-Zuma.

Le Maroc reçoit le soutien de 28 États

Certes, cette motion n’a pas été lue lors du huis clos des chefs d’État, contrairement à ce que souhaitaient le Maroc et ses amis, Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali et Gabon en tête. Le président en exercice de l’UA, le Tchadien Idriss Déby Itno (IDI), à qui il a été reproché d’avoir été trop autoritaire durant ce sommet, a bloqué l’initiative. Certes, aussi, le pouvoir de cette motion est encore très discuté, d’autant qu’un certain nombre des « 28 » ne pèsent pas lourd sur l’échiquier africain.

Mais qu’importe : pour le Maroc, « l’essentiel est qu’une majorité de présidents soutiennent [son] retour et l’exclusion de la RASD », estime un membre de la délégation présente à Kigali. « Nous sommes fatigués, mais heureux », conclut-il.
La veille au soir, Rachid Talbi Alami, président de la Chambre des représentants (chambre basse du Parlement marocain), avait remis une lettre royale à IDI. Traduite en français, en anglais, en espagnol et en arabe, elle a mis un terme à plusieurs jours de rumeurs sur un possible retour du Maroc au sein de l’institution panafricaine, trente-deux ans après son départ, en 1984, pour protester contre la reconnaissance de la RASD deux ans plus tôt.

Des rapports non interrompus avec le reste des États Africains

Ce 18 juillet, les responsables marocains fêtent donc l’aboutissement d’un intense jeu diplomatique entamé il y a plusieurs années pour faire adhérer plus de la moitié des 54 pays du continent aux conditions posées par Rabat : revenir, oui, mais pas sans « l’exclusion » ou le « gel » de la RASD, selon les termes d’un proche du dossier, afin que « l’honneur et la crédibilité » du Maroc soient saufs.

Une délégation marocaine à un sommet de l’UA alors que le pays ne siège plus dans l’hémicycle, cela n’a rien d’exceptionnel. La diplomatie chérifienne n’a jamais quitté totalement les couloirs de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), devenue UA en 2002, menant régulièrement des offensives contre la RASD. Plusieurs ministres des Affaires étrangères se sont rendus à ses sommets, suivant les travaux depuis leur chambre d’hôtel.

Rien d’étonnant pour un pays présent sur tout le continent et partenaire privilégié de nombreux États, que ce soit dans l’économie, la sécurité ou les missions onusiennes de maintien de la paix.
Mais ces dernières années, les modalités d’une éventuelle réintégration se sont précisées. Avec d’autres chefs d’État, « [ils y travaillent] depuis plus d’un an », a indiqué le Sénégalais Macky Sall à JA. Ces dernières semaines, les pièces du puzzle se sont mises en place. Projet de motion sous le bras, Taïeb Fassi-Fihri, Nasser Bourita et Salaheddine Mezouar, le ministre des Affaires étrangères (également présent à Kigali), ont sillonné le continent à la rencontre des leaders africains : pas moins de 41 États en deux semaines et demie, y compris l’Algérie, le 16 juillet. « Aucun des pays visités n’a émis un non catégorique à notre proposition », dit-on dans l’entourage du roi.
Tout s’était accéléré le 20 juin lorsque, pour la première fois, le président rwandais s’était rendu en visite officielle à Rabat. Là, Paul Kagame et M6 parlent longuement de la venue du souverain au sommet de l’UA. Dans la foulée, les autorités marocaines dépêchent des équipes à Kigali afin de mettre sur pied tout le dispositif protocolaire et sécuritaire.

Le suspense a tenu en haleine le sommet pendant plusieurs jours… Lors d’un comité exécutif des ministres des Affaires étrangères, un membre de la délégation algérienne lance à l’assemblée : « C’est du bluff ! » Dans la nuit du 14 au 15 juillet, M6 décide finalement de ne pas faire le déplacement. La missive royale ? C’était son discours, dont l’intitulé a été changé au dernier moment. « Nous avons trouvé la lettre lundi matin [le 18 juillet] sur nos bureaux », confirme un ministre des Affaires étrangères présent dans l’hémicycle.

Que s’est-il passé ? Si nombre d’observateurs n’ont jamais cru que le roi puisse se déplacer sans l’assurance d’une réintégration, M6 a peut-être aussi eu vent du contenu des discours d’ouverture de la réunion des chefs d’État, le 17 juillet. IDI l’a entamée par une minute de silence en hommage au leader de la RASD décédé en mai, Mohamed Abdelaziz. Nkosazana Dlamini-Zuma a quant à elle souhaité la bienvenue au nouveau président sahraoui, Brahim Ghali. L’affront était impensable.

« Ce n’est que partie remise », assure à JA Louise Mushikiwabo, ministre rwandaise des Affaires étrangères. Désormais, tout le monde spécule sur une venue de M6 en janvier, afin d’officialiser le retour du royaume dans l’UA. Rien n’est moins sûr, car le Maroc devra surmonter l’opposition de poids lourds de l’Union, dont l’Algérie et l’Afrique du Sud.

L’avenir de la RASD, un enjeu crutial

Pour un diplomate algérien croisé dans les couloirs du Kigali Convention Centre, « il ne s’agira pas d’un retour [puisque le Maroc a quitté l’OUA], mais d’une adhésion à une nouvelle organisation [l’UA]. Et si cette adhésion se fait dans le cadre du règlement de l’UA, cela ne nous pose aucun problème ». Sous-entendu : le royaume ne peut imposer aucune condition à son intégration, et surtout pas l’exclusion d’un membre.
Les Marocains voient les choses autrement. D’abord, le traité de l’UA fait clairement référence à l’OUA. Un diplomate l’affirme : « L’UA est le prolongement de l’OUA. » Et de rappeler les 50 ans de l’institution, fêtés à Addis-Abeba en 2013, intégrant de fait la période OUA. Par ailleurs, une ligne réservée au Maroc apparaît toujours dans les comptes annuels de l’institution. Le cumul de ses cotisations impayées y est soigneusement reporté depuis trente-deux ans…

Mais qu’importent les interprétations et les divergences de points de vue, la diplomatie marocaine n’est pas pressée. Avant d’obtenir la suspension de la RASD et de venir siéger de nouveau, elle envisage de participer à des commissions dont les Sahraouis sont absents. Une manière de commencer à « être à l’intérieur pour être plus efficace », assure-t-elle, confiante quant à l’issue de cette nouvelle offensive.

Les Sahraouis n’y croient pas

Reconnue en 1982 par l’Organisation de l’unité africaine (OUA, ancêtre de l’UA), la République arabe sahraouie démocratique (RASD, autoproclamée en 1976 par le Front Polisario) a-t-elle du souci à se faire ? Bien que le Maroc ait lancé une offensive pour l’exclure de l’UA et que ses soutiens, en Afrique et dans le monde, soient de moins en moins nombreux, la délégation présente à Kigali affichait une certaine sérénité. « C’est un bluff. Un bluff royal », a déclaré à JA Mohamed Salem Ould Salek, ministre sahraoui des Affaires étrangères.

Pour les dirigeants de la RASD, les textes constitutifs de l’UA plaident en leur faveur. Ils estiment que le retour du Maroc au sein de l’organisation panafricaine est loin d’être acquis, car « il ne respecte pas les conditions nécessaires » ; et que, s’il revient, « ça ne se fera pas au détriment de la RASD ». « La démarche marocaine n’aboutira jamais », estime un autre responsable sahraoui, rappelant que « ce n’est pas la première fois que le Maroc tente de [les] exclure de l’UA ».

Alors que certains observateurs estiment que la mort de son leader historique, Mohamed Abdelaziz, le 31 mai, a affaibli la RASD, notre source veut croire qu’il n’en est rien et précise que son nouveau président, Brahim Ghali (présent au sommet de Kigali), est un membre fondateur du Polisario et un ex-ministre de la Défense qui a mené la guérilla contre les Marocains et les Mauritaniens. Bref, « c’est un historique, tout autant qu’Abdelaziz ».

28 pays anti-RASD

Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cap-Vert, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Djibouti, Érythrée, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Liberia, Libye, Centrafrique, RD Congo, São Tomé-et-Príncipe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Swaziland, Togo, Zambie.
Source:jeuneafrique

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