“C’est comme si ça s’était passé hier” : Marcel Touanga, 75 ans, porte le deuil impossible de son fils, l’un des 353 “disparus du Beach”, le port fluvial de Brazzaville, théâtre d’un des épisodes les plus troubles du long règne du président Denis Sassou Nguesso. Une affaire toujours en instance devant la justice française.
Mai 1999. Producteur de pétrole, proche de la France, le Congo-Brazzaville tente de tourner la page des trois guerres civiles qui l’ont secoué depuis 1993.
Le président Sassou Nguesso a repris le pouvoir après la parenthèse Pascal Lissouba (1992-97). Son objectif : la “réconciliation nationale”.
“DSN” encourage le retour au pays des Congolais qui s’étaient réfugiés de l’autre côté du fleuve à Kinshasa pour fuir les violences du dernier conflit en 1998.
Un accord est signé entre les deux Congos et le Haut-commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR). Les réfugiés traversent le fleuve entre le 5 et le 14 mai 1999.
“Dès le Beach, une espèce de tri se faisait, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Les hommes subissaient une fouille corporelle totale pour voir si certains avaient des traces de port d’armes ou des cicatrices”, affirme M. Touanga, président du Collectif des parents des disparus du Beach.
Les autorités recherchent des miliciens “Ninjas” de Bernard Kolelas, un “sudiste” qui avait affronté l’armée régulière dans la capitale et la région voisine du Pool.
Après la traversée, 353 réfugiés disparaissent. Personne ne sait officiellement ce qu’il leur est arrivé. Sont-ils des Ninjas soupçonnés de vouloir déstabiliser le régime du président Sassou ?
Des disparus auraient été conduits et exécutés dans des bâtiments des services de sécurité comme la Direction générale de la sécurité présidentielle, relève un rapport des Nations unies de 2012 qui s’appuie sur des témoignages “de certaines personnes se présentant comme survivantes”.
“Il y a eu des sévices, des exécutions. Certains ont été fusillés sur place et leurs corps jetés dans l’eau (…). Nous avons inventorié 353 jeunes disparus, mais il y en avait beaucoup plus parce qu’il y a eu des corps brûlés”, poursuit Marcel Touanga, qui vit en France.
“Mon fils s’appelait Narcisse Ladislas. Il avait 28 ans. Il était gendarme. On ne m’a même pas remis son corps.”
“Quand on venait nous prendre par petits groupes pour nous exécuter, on nous disait : Ninja ou pas, vous y passerez, on n’en sort jamais vivant”, a témoigné un homme se déclarant rescapé du Beach, en France le 19 février 2003 sous le couvert de l’anonymat.
“Scandale d’État”
A la demande des familles, une commission d’enquête est instituée par le Parlement congolais en 2002. Les autorités décident d’étendre ses travaux à l’ensemble des disparitions forcées constatées au Congo depuis 1992.
Un procès s’ouvre finalement à Brazzaville en 2005.
Sur le banc des accusés, 15 personnes, des officiers pour la plupart. Ils seront tous acquittés par la justice qui condamne l’État congolais à indemniser les proches de 86 des 353 disparus, à raison de 15.000 euros par disparu.
En France, dès fin 2001-début 2002, une plainte pour “crime contre l’humanité, disparitions et tortures” est déposée par des organisations de défense des droits de l’homme.
Elle vise le président Sassou Nguesso et trois dignitaires de son régime. Le Congo a demandé à la Cour internationale de justice (CIJ) le gel de la procédure française.
Dans la nuit du 2-3 avril 2004, le directeur de la police, le colonel Jean-François Ndenguet, est écroué en France pour “crime contre l’humanité” à la prison de la Santé. Il sera libéré sur ordre du procureur de la République sous prétexte qu’il est titulaire d’un “passeport diplomatique”. Des ONG dénoncent un “scandale d’État”.
Malgré ça, “la justice française reste pour le moment le seul espoir”, lance à Brazzaville Trésor Nzila, directeur exécutif de l’Organisation congolaise des droits de l’homme (OCDH), alors qu’au Congo personne ne croit que la justice sera faite sur cette affaire.
“Vingt ans après, le dossier reste malheureusement encalminé”, regrette l’avocat William Bourdon. Certains espèrent encore l’instauration d’une commission “vérité et réconciliation”.
En attendant, “la douleur est toujours là. On se rend compte que nos enfants disparus ne sont que des victimes sans auteurs”, dit à Brazzaville le père d’un autre disparu, Vincent Niamankessi, 70 ans.
AFP