États-Unis : l’affaire Khashoggi, le scandale saoudien de trop pour les Républicains ?

Fait rare aux États-Unis, des voix républicaines s’élèvent pour dénoncer l’Arabie saoudite, dans le sillage de l’affaire Khashoggi. Une prise de distance avec un allié de poids de Donald Trump devenu de plus en plus embarrassant.

Au printemps dernier, le sénateur républicain Lindsay Graham faisait des courbettes au prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, dit MBS, lors de sa visite à Washington. Cette semaine, il figure au premier rang des républicains qui tape un lourd poing sur la table contre le jeune dirigeant. MBS est « complice du meurtre de Jamal Khashoggi au plus haut niveau possible », a affirmé Lindsay Graham, fervent supporter de Donald Trump, lui-même fervent supporter de MBS.

Si l’affaire Khashoggi, bombe diplomatique internationale, n’a pas coûté à Riyad le soutien du président américain, elle a fissuré les rangs du parti républicain, tant lallié saoudien est devenu embarrassant.
« Je n’ai aucun doute sur le fait que le prince héritier a ordonné le meurtre et a été maintenu au courant de la situation tout le long », a déclaré à des journalistes le sénateur Bob Corker, en sortant d’une réunion à huis clos sur les conclusions de l’enquête avec la directrice de la CIA, Gina Haspel.
Selon des médias américains, le rapport de la CIA démontre que MBS a commandité l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, à Istanbul le 2 octobre. Riyad rejette catégoriquement ces accusations.
De mémoire d’expert, on ne se souvient pas d’une seule autre occurrence récente lors de laquelle des membres du parti républicain se sont insurgés contre les Saoudiens. Pas même après les attentats du 11-Septembre, perpétrés par 19 jihadistes, dont 15 Saoudiens. Il fut en effet un temps pas si lointain où les républicains regardaient leurs chaussures lorsqu’un scandale impliquant l’Arabie saoudite éclatait sur la scène internationale.
« Cette relation est au mieux inutile, au pire contre-productive”
Début 2016, alors que le régime saoudien venait d’exécuter le leader chiite et opposant phare Nimr al-Nimr, condamné pour terrorisme après avoir été accusé sans preuves d’avoir prôné la violence contre l’État, les réactions des conservateurs avaient été très frileuses. “Nous devons soutenir notre allié”, avait notamment déclaré Marco Rubio, l’un des candidats républicains pour la présidentielle qui se dessinait alors.
 
Trois ans plus tard, le contexte est différent. Au cœur des relations entre Washington et Riyad se trouve à présent le désastre de la guerre au Yémen, où l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis mènent depuis 2015 une coalition militaire, soutenue par Washington. Des dizaines de milliers de morts et une grave crise humanitaire salissent ainsi de plus en plus les mains de l’Amérique.

 

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“Personne ne peut regarder ce qui se passe au Yémen et penser que c’est positif”, commente Steven Cook, spécialiste Moyen-Orient et Afrique au sein du Council on Foreign Relations de New York. “Les États-Unis sont inquiets car ils ont été embarqués par Riyad dans cette mésaventure funeste, et cela ne peut que leur faire du tort.”
Ce partenariat est ainsi une source de « problèmes inutiles” pour les États-Unis, selon Steven Cook. “Certes, les Saoudiens utilisent leur influence pour modérer les prix du pétrole, ce qui n’est pas négligeable, mais leur politique de ces dernières années n’a pas été à l’avantage des États-Unis, quoi qu’on en dise. Cette relation est au mieux inutile, au pire contre-productive.”
L’assassinat de Jamal Khashoggi, un éditorialiste du Washington Post qui vivait aux États-Unis et évoluait dans les cercles washingtoniens, serait donc l’événement de trop.
“Le sentiment d’horreur au Congrès après l’assassinat de Khashoggi est bipartisan”, estime Simon Henderson, expert au Washington Institute for Near East Policy. “Il y a une unanimité qui consiste à dire que des mesures doivent être prises envers l’Arabie saoudite si elle doit rester notre partenaire et notre alliée. Les républicains ne sont pas forcément plus pro-saoudien que les démocrates.”
Le 28 novembre, lors du vote d’une résolution visant à stopper tout soutien militaire à l’Arabie saoudite dans le cadre de la guerre au Yémen, cette unanimité n’est pourtant pas paru si évidente que cela. Si les votes en faveur ont bien rassemblé des démocrates et des républicains (respectivement au nombre de 47 et 14), la totalité des 37 sénateurs qui s’y sont opposés étaient quant à eux conservateurs.
Détourner l’attention
Car, même si certains républicains se sont positionnés contre l’Arabie saoudite, la majorité restent conformes à la ligne directrice de Donald Trump, qui rappelle à l’envi l’importance du partenariat avec ce pays – ce que nombre d’éditorialistes met toutefois en doute.
La photo officielle reste donc belle. L’ambassadeur saoudien à Washington, frère de MBS, vient de reprendre du service, après être rentré en Arabie saoudite lorsque l’affaire Khashoggi à éclaté. Et le ministre des Affaires étrangères Adel al-Joubeir était bien présent aux funérailles nationales de l’ancien président américain George Bush. En d’autres termes, les relations sont au beau fixe, et, semble-t-il, inchangées.
Qui plus est, dans les couloirs de la Chambre des représentants, la rumeur venue du côté républicain se veut rassurante quant au scandale Khashoggi. “‘Ce genre de choses arrive tout le temps’, ‘les journalistes sont menacés de toute façon’ : voilà les phrases que j’entends », raconte Steven Cook. “Un certain nombre de membres conservateurs de la Chambre ont aussi suggéré que Jamal Khashoggi était islamiste, anti-Américain ou encore qu’il soutenait les Frères musulmans. Beaucoup de personnes essaient de détourner l’attention et un effort a clairement été fait au sein du parti républicain pour protéger les Saoudiens des critiques.”
Tirer un trait sur MBS serait un déchirement pour certains membres du Congrès, estime encore l’expert. Arrivé sur le devant de la scène comme un souverain moderne avide de réformes, le prince saoudien a ébloui la classe politique américaine en accordant par exemple plus de libertés aux femmes, dont le droit de conduire une voiture. Ce partenaire de poids au Moyen-Orient coche par ailleurs plusieurs bonnes cases : opposé aux extrémismes, enclin à développer de meilleures relations avec Israël, et farouche ennemi de l’Iran. “Ce sont des points jackpot pour le Congrès. Sur ces questions-là, on ne fait pas dans la nuance”, dit encore Steven Cook.
Lindsay Graham faisait partie jusqu’à récemment de ceux qui étaient éblouis. Les espoirs nourris en la personne du prince héritier n’ont fait qu’accentuer le sentiment de trahison. “Il se sent maintenant exposé car il s’est affiché aux côtés de MBS, explique encore le spécialiste. Les gens comme lui ont le sentiment d’avoir été manipulés.”

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