La secrétaire d’État italienne à la culture a déclenché une polémique après avoir remis en cause le prêt d’œuvres de De Vinci au Louvre, pour célébrer les 500 ans de sa mort. L’artiste, mort en France, était avant tout italien, s’insurge-t-elle.
Les tensions sont déjà vives depuis plusieurs mois entre le président français, Emmanuel Macron, et le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, notamment au sujet de l’Europe et des migrants. La sortie de la secrétaire d’État italienne à la culture vient envenimer davantage les relations entre les deux pays.
Dans les pages du Corriere della Sera, le 17 novembre, Lucia Borgonzoni, membre de la Ligue, parti d’extrême droite, a remis en cause un accord de prêts signé entre l’Italie et le Louvre. Rome s’était pourtant engagé sur la mise à disposition des tableaux de Léonard de Vinci, à l’occasion d’une exposition au musée du Louvre en 2019, pour les 500 ans de la mort de l’artiste. Lucia Borgonzoni estime, désormais, que les termes de cet accord sont « inconcevables ».
« Nous devons rediscuter de tout. Lorsque l’autonomie des musées est en jeu, l’intérêt national ne peut pas arriver en second. Les Français ne peuvent pas tout avoir », a déclaré la secrétaire d’État italienne. « Léonard est italien, il est seulement mort en France. Le prêt de ces tableaux au Louvre placerait l’Italie à la marge d’un événement culturel majeur », a-t-elle argumenté.
« L’Italie n’existait pas encore »
Léonard de Vinci, né en 1452 en Toscane, n’a en effet passé que les dernières années de sa vie en France, où il s’est éteint en 1519. Invité par le roi François 1er, il était arrivé en 1515. Peut-on alors dire qu’il n’était qu’italien ? Cet argument est à nuancer selon l’historien Pascal Brioist. « Il faudrait savoir ce qu’est être Italien à ce moment-là, parce que l’Italie n’existait pas encore. Il n’y avait que des principautés », note ce spécialiste de la Renaissance. « Léonard a finalement été plus reconnu en France. En 1515, il a choisi de partir car il souffrait de la concurrence de la jeune génération comme Raphael ou Michel Ange. Il savait qu’il n’avait plus forcément d’avenir à la cour du pape Léon X. Il avait toutes les raisons d’accepter l’invitation de François 1er ».
L’historien souligne par ailleurs que ce n’est pas la première fois que l’artiste est au cœur d’une querelle nationaliste. « La Joconde a été volée en 1911 par un ouvrier italien qui voulait la rendre à l’Italie », rappelle-t-il. « Sous Mussolini dans les années 30, les fascistes avaient aussi vu en Léonard de Vinci l’incarnation même du génie italien. Ils avaient conçu une exposition avec des maquettes de ses machines pour démontrer la grandeur de l’Italie ». Plus récemment, lors du mondial de football, de nombreux internautes italiens ont crié au scandale lorsque le musée du Louvre s’est approprié la figure de la Joconde pour célébrer la victoire des Bleus en finale.
À la suite des déclarations de la secrétaire d’État à la culture, certains de ses partisans ont d’ailleurs demandé sur les réseaux sociaux que la France rende à l’Italie les tableaux « volés » dont le célèbre portrait de Mona Lisa. Un non-sens complet pourPascal Brioist : « Tous ces tableaux ont été vendus par Léonard de Vinci à la France au XVIe siècle ».
« Il appartient à l’humanité tout entière »
Au-delà de ces crispations nationalistes, l’historien de l’art Jacques Franck, consultant des musées nationaux et spécialiste de Léonard de Vinci, s’étonne du moment choisi pour faire cette annonce: « Comment peut-on revenir sur des accords qui sont pris depuis longtemps. Le Louvre a besoin de s’organiser suffisamment à l’avance. Un an à peine avant l’ouverture de la grande exposition, c’est vraiment court. Quand vous éditez un catalogue, il faut que cela soit prêt des mois à l’avance ».
En 2017, Dario Franceschini, le prédécesseur de Lucia Borgonzoni, avait ainsi convenu de prêter les grands chefs-d’œuvre de Léonard conservés en Italie : « La Scapigliata » (Galerie nationale de Parme), « L’Homme de Vitruve » et « La Bataille d’Anghiari » (Galerie de l’Académie de Venise), le « Portrait de musicien » (Pinacothèque ambrosienne de Milan), le « Saint-Jérôme » (Musée du Vatican) ou encore « L’Annonciation » (Musée des Offices de Florence). En échange, la France s’était engagée à prêter les œuvres de Raphaël au musée italien des Écuries du Quirinal, en 2020, pour les 500 ans de la mort de ce dernier. Par ailleurs, comme le précise Télérama, l’exposition au Louvre ne devait démarrer en 2019 « qu’en octobre pour laisser le champ libre aux Italiens ». « Et seulement pour deux mois. Pas plus », précise Pascal Brioist.
Qu’aurait finalement pensé Léonard de Vinci de cette querelle ? Même s’il admet ne pas pouvoir se mettre « dans sa peau », Jacques Franck pense avant tout que cet artiste sans frontières « aurait souhaité que son art et son message soient célébrés partout. Il n’était au fond la propriété de personne. Je pense que Léonard appartient à l’humanité tout entière ».
France 24