«Aga», le Grand Nord à taille humaine

C’est le premier film étranger tourné en Iakoutie, une région dans le Grand Nord, dans le nord-est de la Sibérie. Le réalisateur bulgare Milko Lazarov peint avec sa caméra des paysages grandioses dotés d’une lumière assortie d’une gamme de blancs et d’une douceur inouïes. Avec « Aga », il nous fait découvrir un monde et en même temps sa disparition, à travers un vieux couple, Nanouk et Sedna.

Le film ouvre avec une femme en costume traditionnel, bagues en argent sur les doigts, clignotant des yeux avant d’entonner une chanson endiablée avec sa guimbarde venue de nulle part pour nous submerger de bonheur. Une sorte d’introduction à la poésie et la beauté du Grand Nord qui ne nous quitteront plus.

Aga, c’est d’abord l’histoire d’un vieux couple, Nanouk et Sedna (interprétés avec grâce et calme par Mikhail Aprosimov et Feodosia Ivanova). Leur vie tourne autour de leur yourte et quand son mari rentre à la maison, les bottes trempées, Sedna le soigne et prépare le dîner. La poésie de leurs gestes s’oppose à la rudesse de leur existence. Le chien halète, le vent souffle et l’homme perce la glace pour pêcher des poissons. Mais dans cette neige éternelle, l’ordre établi commence à être troublé.

Un siècle après le succès international du film ethnographique Nanouk l’Esquimau, tourné en 1921 auprès et avec des Inuits, Aga rend ouvertement hommage au film du réalisateur américain Robert Flaherty, tout en situant résolument l’histoire dans l’urgence écologique de notre époque.

L’étendue du Grand Nord sur le grand écran

Dans Aga, Nanouk a beau frapper avec son couteau contre la glace comme un musicien sur son tambour, cela fait quatre jours qu’il n’a plus rien pêché ni chassé. Et pourtant, ses pièges ressemblent toujours à des véritables sculptures, prêtes à éblouir la proie qui sera dépecée et entièrement assimilée au service de la vie et des ventres des habitants de la yourte.

Tournées en argentique, en 35 mm, et à -40° sur le fleuve glacé Lena, laissant le cadre de la caméra ouvert au maximum, les images créées restituent l’étendue du Nord sur le grand écran. Avec son rythme bien à lui, entre tranquillité et contemplation, le film met en scène cette symphonie d’une symbiose entre l’homme et la nature, entre les visages et les paysages. Mais à l’époque actuelle, cet équilibre risque à tout moment de basculer dans une cacophonie profonde provoquée par les bouleversements qui s’annoncent autour : un avion dans le ciel, la motoneige dans la nature immaculée, l’absence de la fille Aga, partie pour gagner sa vie dans une gigantesque mine de diamants à ciel ouvert…

Entre le ciel et la terre

Tout réside dans le non-dit, aussi indicible que la frontière entre ce ciel et cette terre entremêlés dans la lumière. Ici, tout s’explique par des absences et des signes comme une tache noire sur la peau ou une tache rouge au sol. Dans les rares moments où le père ou la mère s’expriment par la parole, ils essaient de décrypter leur destin à travers de contes ancestraux de rennes et d’ours polaires.

On ne saura jamais pourquoi le père n’arrive pas à pardonner à Aga d’être partie. Pour avoir trahi leur mode de vie millénaire ? Pour avoir rompu le contrat entre les générations ? Pour avoir divorcé ? En attendant, la musique intimement mélancolique, créée par la compositrice bulgare Penka Kouneva, accompagne les derniers moments de leur Ancien Monde avant la déliquescence ultime qui paraît inévitable…

Feodosia Ivanova et Mikhail Aprosimov dans « Ága », un film sur le Grand Nord, de Milko Lazarov.
RFI

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