Manger bio est-il un gage de meilleure santé ? Depuis quelques années, les aliments issus de l’agriculture biologique séduisent un nombre croissant de consommateurs qui, en plus de se soucier des aspects éthiques et environnementaux du contenu de leur assiette, recherchent des produits issus de modes de production plus sains, sans pesticides nocifs, afin de préserver leur santé. C’est peut-être bien une stratégie payante.
Selon une étude menée par une équipe de l’Inra, l’Inserm, l’université Paris-XIII et du Cnam, et publiée cette semaine dans la revue scientifique JAMA Internal Medicine,l’alimentation bio réduirait significativement les risques de cancer. Emmanuelle Kesse-Guyot, chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et coauteure de l’étude, commente pour 20 Minutes les résultats mis au jour par son équipe.
Les résultats de l’étude démontrent une réduction des risques de développer un cancer en général, et particulièrement certains types de cancers. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pour mener nos travaux, nous avons analysé un échantillon de près de 69 000 participants (78 % de femmes, âge moyen 44 ans) de la cohorte française NutriNet-Santé, que nous avons suivis pendant sept ans et divisé en quatre grands groupes alimentaires en fonction de la proportion de produits bio consommés.
Au cours des sept années de suivi, nous avons comptabilisé 1 340 nouveaux cas de cancer au sein de notre échantillon et observé la répartition de ces cas dans les différents groupes étudiés. Nous avons observé que les plus gros consommateurs d’aliments issus de l’agriculture biologique ont un risque général de développer un cancer qui est réduit de 25 %, comparés à ceux qui en consomment le moins. Cela peut expliquer la présence de résidus de pesticides synthétiques, que l’on retrouve plus fréquemment et à des doses plus élevées dans les aliments issus de l’agriculture conventionnelle, comparés aux aliments bio.
Mais, en affinant les observations en fonction de la localisation du cancer, nous avons constaté une association encore plus marquée entre une consommation élevée de produits bio et la réduction des risques pour certains cancers en particulier. Ainsi, pour le groupe le plus consommateur de bio, les risques de développer un cancer du sein post-ménopause sont réduits de 34 %, et les risques de développer un lymphome (un type de cancer du sang), sont quant à eux réduits de 76 %. Or, ce sont des maladies qui touchent plus significativement les agriculteurs exposés aux pesticides.
Il est admis que les personnes ayant une alimentation riche en produits bio ont par ailleurs une meilleure hygiène de vie que le reste de la population. Comment avez-vous limité les biais dans votre étude ?
C’est vrai, les grands consommateurs de bio font généralement plus attention à leur hygiène de vie, pratiquent une activité physique régulière, font attention, au-delà du label bio, à la qualité de leur alimentation. Notre objectif était donc d’effacer l’incidence de ces facteurs, afin d’obtenir des résultats les plus fins et fiables possibles, sans quoi nos conclusions n’auraient pas signifié grand-chose.
C’est pourquoi nous avons utilisé des « modèles ajustés », et avons inclus ce que l’on appelle des facteurs de confusion. Des caractéristiques sociodémographiques, de modes de vie ou nutritionnelles ont été prises en compte dans cette analyse. Nous avons veillé, dans tous les groupes alimentaires, à recruter des participants qui, en dehors de manger bio ou non, avaient le même type d’alimentation, qui consommaient la même proportion de fruits et légumes, de viande ou de charcuterie. Nous avons tenu compte de leur consommation de tabac et d’alcool, de leur niveau de pratique d’une activité physique, de leurs antécédents familiaux ou encore de leur catégorie socioprofessionnelle afin d’obtenir des résultats tangibles et significatifs.
Que permettent d’espérer les résultats mis au jour? Quelle réflexion invitent-ils à développer ?
On observe ces dernières années une mutation des comportements alimentaires, il y a chez de plus en plus de consommateurs une quête du « manger mieux ». Mais, pour l’heure, manger bio, c’est cher, plus cher que les équivalents conventionnels, or tout le monde n’a pas les moyens financiers d’acheter tout ou presque tout en bio.
A elle seule, notre étude ne permettra pas d’amorcer un changement de politique publique face aux pesticides. A ce jour, les données épidémiologiques disponibles ne permettent pas de conclure à un effet protecteur de l’alimentation bio sur la santé (ou un risque accru lié à la consommation des aliments issus de l’agriculture conventionnelle). On peut espérer obtenir plus de moyens pour la recherche, pour mener plus d’études, sur d’autres populations, pour voir si les résultats obtenus sont similaires.
Ainsi, si de futures études confirment nos travaux, qu’il y a un consensus scientifique, alors cela permettra de mettre la pression sur le politique. Et si de nettes améliorations peuvent être faites sur ce terrain, il ne faut pas oublier que des politiques sont déjà mises en œuvre pour privilégier le développement de filières produisant des aliments cultivés selon des modes de production diminuant l’exposition aux pesticides pour les fruits et légumes, légumineuses et produits céréaliers.
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