Des bébés nés sans bras, sans main, et sans explication. Depuis quelques semaines, l’affaire des bébés nés sans bras dans l’Ain secoue le pays. Et il n’est pas sûr que la lumière soit faite un jour, malgré la divulgation de l’information par Emmanuelle Amar, la scientifique qui a rendu publique l’affaire. Après une enquête de l’agence sanitaireSanté Publique France, aucune cause n’a été déterminée pour expliquer ces malformations, mais l’enquête, elle a été arrêtée.
Dans le même temps, Emmanuelle Amar, qui a lancé l’alerte, est en passe d’être licenciée du Remera (registre des malformations en Rhône-Alpes), la structure qu’elle dirige depuis plusieurs années, et l’activité est menacée. Les parents d’enfants touchés par une malformation, eux, restent sans réponse à leurs interrogations.
« Protégeons ceux qui alertent sur un risque sanitaire »
« La situation est très grave, il y a une volonté de faire taire les lanceurs d’alerte, déclare à 20 Minutes l’eurodéputée écologiste Michèle Rivasi. Nous devons protéger ceux qui alertent sur un risque sanitaire et je témoigne tout mon soutien à Emmanuel Amar, qui a eu le courage d’informer le grand public de cette affaire qui aurait pu rester sous silence encore longtemps sans elle », poursuit celle qui tenait par ailleurs une conférence de presse ce jeudi aux côtés de deux ex-ministres de l’Ecologie, Delphine Batho et Corinne Lepage, pour réclamer « un système de surveillance renforcé de ces malformations inexpliquées ».
« Emmanuelle Amar n’est pas une lanceuse d’alerte », a répliqué l’épidémiologiste Ségolène Aymé dans un communiqué. Dans ce texte très virulent, cette directrice de recherche émérite à l’Inserm fustige les « mensonges » et « l’attitude irresponsable » d’Emmanuelle Amar. Des « attaques calomnieuses », répond l’intéressée, qui dirige le Remera, le plus ancien des six registres des malformations congénitales de France. Basée à Lyon, cette structure a été fondée en 1973 après le scandale du thalidomide, anti-nauséeux qui avait fait naître des milliers d’enfants sans bras entre 1957 et 1962. « C’est également ce registre qui a lancé l’alerte sur les conséquences de la prise de l’antiépileptique Dépakine pendant la grossesse, rappelle l’eurodéputée Michèle Rivasi. Son rôle est déterminant ».
Aucune cause identifiée
Cet été, le Remera, par la voix d’Emmanuelle Amar, a révélé que plusieurs bébés sont nés ces dernières années sans mains, bras ou avant-bras dans un périmètre restreint de l’Ain (sept naissances entre 2009 et 2014). Deux autres groupes de cas ont été observés, en Loire-Atlantique (trois cas entre 2007 et 2008) et en Bretagne (quatre cas entre 2011 et 2013). Appelée « agénésie transverse des membres supérieurs », cette absence de formation d’une main, d’un avant-bras ou d’un bras au cours du développement de l’embryon représente moins de 150 cas par an en France. Les causes peuvent être génétiques, liées à des contraintes physiques ou dues à des substances toxiques (alimentation, environnement, voire médicaments dans le cas du thalidomide, anti-nauséeux qui avait fait naître des milliers d’enfants sans bras entre 1957 et 1962). Plusieurs facteurs entrent sans doute en ligne de compte.
Après enquête, l’agence sanitaire Santé publique France a conclu dans un rapport rendu le 4 octobre dernier que le nombre de cas relevés dans l’Ain n’était pas statistiquement supérieur à la moyenne nationale. A l’inverse, elle reconnaissait un excès de cas en Loire-Atlantique et en Bretagne. Des cas qui restent sans explication, puisque l’enquête n’a identifié aucune cause, y compris environnementale, et que les investigations ont été arrêtées après la remise du rapport.
Mais des soupçons sur les pesticides
Un rapport dont les conclusions sont contestées par Emmanuelle Amar, soutenue par des élus écologistes, à l’instar de Michèle Rivasi ou Yannick Jadot. Le Remera, dirigé par Emmanuelle Amar, dénonce «une triche ». « On est en train de dire aux familles qu’elles vont rester avec leurs questions, que c’était la faute à pas de chance », déplorait la scientifique. Et bien qu’aucune preuve scientifique ne l’étaye, ils pensent que des pesticides pourraient être à l’origine des malformations et accusent les autorités sanitaires de ne pas vouloir faire toute la lumière. « Les conclusions de Santé publique France, en particulier concernant le département de l’Ain, sont incompréhensibles : comment l’agence sanitaire peut ne pas prendre en compte les sept cas d’enfants nés mal formés dans un rayon de seulement 17 km, s’indigne l’eurodéputée Michèle Rivasi. Elle a ramené ces chiffres à l’échelle du département entier, mais c’est une erreur, qu’elle doit reconnaître aujourd’hui, pour mieux chercher l’explication à ce phénomène. Il s’agit probablement de pesticides, ou d’autres types de produits chimiques, mais l’État ne se donne pas les moyens de trouver les causes de ces malformations, à croire qu’il fait tout pour étouffer l’affaire ! L’enquête a été faite a minima, c’est scandaleux ! »
Les investigations de Santé Publique France ont été menées sous deux formes : la recherche statistique d’un excès de cas d’une part, et de l’autre une enquête auprès des parents, via des questionnaires, dont le but était de comprendre quels produits (pesticides, médicaments, produits ménagers…) auraient éventuellement pu provoquer les malformations. « On n’a pas d’élément démontré pour dire que tel produit est responsable », affirmait Jean-Claude Désenclos, directeur scientifique de Santé publique France lors de la présentation du rapport. Par exemple, en ce qui concerne les pesticides, « les calendriers d’épandage ne correspondaient pas à la période-clé de fragilité durant la grossesse », a expliqué l’épidémiologiste Bertrand Gagnière, qui a enquêté sur les cas de Bretagne.
« On parle ici de questionnaires déclaratifs donnés aux parents, mais aucune investigation n’a été menée sur le terrain, personne ne s’est déplacé pour étudier les conditions dans lesquelles vivent les familles touchées, pour interroger les agriculteurs du secteur, aucun prélèvement n’a été réalisé, s’agace Michèle Rivasi. Et pour l’Etat, cela suffit, fin de l’enquête. Ce n’est pas normal, c’est intolérable et les familles, elles, restent sans réponse. Les mères culpabilisent en se demandant ce qu’elles ont pu faire de mal durant leur grossesse, c’est honteux de les laisser dans ce flou ».
« Il faut améliorer la surveillance de ces malformations »
Pour l’eurodéputée, qui « ne comprend pas que les registres des malformations ne couvrent que 19 % de la population », « l’Etat doit améliorer le système de surveillance et le généraliser à l’ensemble du territoire, afin de couvrir toute la population, et relancer les investigations pour fournir des réponses claires aux familles ». Un vœu loin de se réaliser, alors que le Remera dirigé par Emmanuelle Amar est menacé de fermeture, et que la scientifique à sa tête est pour sa part en passe d’être licenciée. Depuis plusieurs mois, elle s’inquiète pour l’avenir de sa structure, à laquelle la région Auvergne-Rhône-Alpes et l’Inserm ont retiré leur financement. Il ne lui reste plus que les fonds de Santé publique France et de l’Agence du médicament (ANSM), soit 115.000 euros par an alors qu’il en faudrait 250.000, selon elle. « Le financement a été supprimé au motif qu’on dérange », martèle-t-elle.
Une version qui diverge de celle de la région. C’est un « manque de justification de dépense des fonds publics » qui explique le non-versement de la subvention de 2017, affirme la collectivité dirigée par Laurent Wauquiez (LR), selon laquelle le Remera n’a pas demandé la subvention en 2018. Un argumentaire qui ne convainc pas tout le monde. « La loi protège les lanceurs d’alerte et, à ce titre, elle doit protéger Emmanuelle Amar, estime Michèle Rivasi. Le message qui est envoyé aux scientifiques est clair et inquiétant : si vous lancez l’alerte, vous êtes licencié ». Emmanuelle Amar peut également compter sur le soutien de l’ancienne directrice du Remera, aujourd’hui présidente de son conseil scientifique, Elisabeth Gnansia, pour qui « c’est quelqu’un de brillant, qui a du courage et de l’obstination »
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