Au Bhoutan, une bataille d’influence entre Inde et Chine

THIMPHOU (BHOUTAN) (AFP) – 

 Nation himalayenne de la taille de la Suisse, le Bhoutan commence à trouver étouffante la tutelle historique de l’Inde voisine, méfiante de tout rapprochement entre la Chine et le petit royaume.

« À l’intérieur du Bhoutan, il y a une demande croissante de diversifier et assouplir la dépendance vis-à-vis de l’Inde », note l’historien Tsering Shakya de l’université de Colombie-Britannique, alors que le pays enclavé entre les deux géants d’Asie vote jeudi aux troisièmes élections législatives de son histoire.

« Toutefois, considérant la géographie et l’histoire, il n’est pas facile pour le Bhoutan d’ignorer les intérêts de l’Inde », pondère-t-il.

Les montagnes du pays ont été le théâtre à l’été 2017 d’une confrontation entre l’Inde et la Chine. New Delhi y avait envoyé des troupes pour empêcher la construction d’une route militaire par Pékin sur un plateau en altitude.

Après deux mois de face-à-face entre soldats indiens et chinois, les deux puissances sont finalement convenues d’un désengagement militaire.

Depuis, Pékin tend la main à la capitale bhoutanaise Thimphou pour améliorer leur relation bilatérale, bien que les deux pays n’entretiennent pas de liens diplomatiques officiels. Très peu de pays possèdent une ambassade au Bhoutan, et passent généralement par leur représentation à New Delhi.

Des machines au ciment, en passant par les jouets ou les appareils électriques, les exportations chinoises au Bhoutan ont fortement augmenté au cours de la dernière décennie. Pékin est désormais le troisième fournisseur étranger du royaume.

Parallèlement, bon nombre de personnes au sein de la population de 800.000 Bhoutanais considèrent de plus en plus contraignant le parrainage de l’Inde.

« Si (l’Inde et le Bhoutan) sont bons amis, notre amitié ne devrait pas être affectée par nos relations avec d’autres pays », déclare à l’AFP Vimla Pradhan, une étudiante de 21 ans.

« Il semblerait que quoi que fasse le Bhoutan, cela nécessite l’approbation tacite de l’Inde. L’Inde passera toujours avant les autres mais s’il-vous-plaît ne vous comportez pas comme un grand frère jaloux », plaide-t-elle.

Le point de vue de cette étudiante de science politique et philosophie est loin d’être isolé. La jeunesse du Bhoutan est à la recherche de nouvelles opportunités, touchée par un taux de chômage de 10,6% – contre 2,4% en moyenne nationale.

« Où sont les emplois ? Regardez partout et vous trouverez des jeunes hommes traînant sans rien à faire », lance Karma Choden, une commerçante vendant du fromage sec et des piments rouges en bord de route.

– Touristes chinois –

Si l’Inde s’est montrée généreuse en prêts et investissements, elle n’a toutefois pas la force de frappe de la Chine, qui pratique une diplomatie d’influence à coups de milliards de dollars de crédits.

New Delhi a ainsi assisté avec irritation au bourgeonnement d’infrastructures financées par l’argent chinois au Sri Lanka, au Népal et aux Maldives, situés dans la sphère d’influence traditionnelle de l’Inde.

Jamais colonisé, le Bhoutan a longtemps vécu coupé du reste du monde, jusqu’à la construction de sa première grande route aux début des années 1960. Mais cette ouverture s’est aussi faite au prix d’une lourde dépendance à l’étranger.

Cette vulnérabilité fut flagrante en 2013 lorsque l’Inde a été accusée d’avoir provoqué une crise des carburants au Bhoutan en y coupant ses subventions au gaz de cuisine et au kérosène – en rétorsion, selon les observateurs, au rapprochement entre Thimphou et Pékin.

De moins d’une vingtaine il y a dix ans, le nombre de touristes chinois au Bhoutan est passé à 6.421 en 2017, bien que ces derniers doivent payer un onéreux visa contrairement à leurs homologues indiens.

La Chine multiplie les coopérations avec le Bhoutan à travers les sports, les visites religieuses et culturelles et les bourses universitaires accordées à des étudiants bhoutanais. En juillet, le vice-ministre des Affaires étrangères chinois Kong Xuanyou a effectué un rare déplacement dans le royaume.

La diplomatie bhoutanaise et son histoire sont des préoccupations bien lointaines pour Kinzang Dorji, chauffeur de taxi à Thimphou. Mais l’investissement étranger trouve une traduction concrète dans sa vie de tous les jours.

« De nombreux touristes chinois ont commencé à venir et ils apportent beaucoup d’argent. Ils ne nous dérangent pas du tout », dit-il en passant devant un restaurant chinois du c?ur de la capitale.

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