C’est une découverte à faire. L’œuvre d’Anna Burns, « Milkman », éditée par une maison d’édition indépendante, non traduite en français, et jusqu’ici vendue à quelques milliers exemplaires, acquiert aujourd’hui une notoriété internationale en remportant mardi 16 octobre la 50e édition du plus prestigieux prix littéraire au Royaume, le Man Booker Prize.
Ouvert à toutes les fictions en langue anglaise, le Man Booker Prize est devenu dans cette année sans Prix Nobel de littérature peut-être encore plus important. D’autant plus que son livre Milkman – d’une manière sous-jacente – fait écho à beaucoup de sujets d’actualité comme le mouvement #MeToo, le Brexit ou la situation complexe en Irlande du Nord. Car c’est la première fois qu’une écrivaine nord-irlandaise s’inscrit dans la longue liste des lauréats dont beaucoup sont devenus célèbres (V.S. Naipaul, Doris Lessing, André Brink, Salman Rushdie, Kazuo Ishiguro…).
Anna Burns : « J’ai grandi dans un endroit plein de violence »
Milkman est l’histoire d’une jeune femme de 18 ans, simplement appelée « Middle Sister », devenant peu à peu la proie d’un homme puissant et victime de rumeurs folles. C’est aussi le récit d’une société en crise et l’audace de parler de la force inouïe de l’inaction. Comme son livre précédent, No Bones, écrit en 2002, l’histoire de son troisième roman se déroule dans son pays natal gangrené par une violence dévorante pendant la période des Troubles en Irlande du Nord, dans la seconde moitié du XXe siècle.
Une période qui a sensiblement influencé sa façon d’écrire, confiait Anna Burns au Man Booker Prize par rapport à ce livre écrit à la première personne : « J’ai grandi dans un endroit plein de violence, de méfiance et de paranoïa, peuplé d’individus essayant de naviguer et de survivre le mieux possible dans ce monde. »
Une voix extrêmement singulière
Anna Burns, née en 1961 à Belfast, vit aujourd’hui à East Sussex, dans le sud de l’Angleterre, mais reste dans ses fictions ancrées dans la ville de sa jeunesse. Après la délibération, Kwame Anthony Appiah, le président du jury du Man Booker Prize, se montrait impressionné par la langue incroyablement innovatrice de l’écrivaine de 56 ans : « Personne parmi nous, n’avait jamais lu quelque chose de comparable auparavant. La voix extrêmement singulière d’Anna Burns défie la pensée conventionnelle et forme une écriture surprenante et immersive ».
Il a également souligné la persévérance de l’auteure en évitant de donner un nom à la ville et même aux protagonistes pour rendre l’histoire plus percutante. Dans une interview donnée au site du Man Booker Prize, l’écrivaine expliquait son choix intriguant : « le livre ne fonctionnait pas avec des noms. Il perdait de la force et de l’atmosphère et risquait de devenir un livre moins réussi ou peut-être un livre juste différent… Avec des noms, le récit devenait lourd et sans vie et refusait d’avancer, jusqu’à ce que je les ai enlevés à nouveau. Parfois, le livre les a expulsés lui-même. »
Sa première réaction après la récompense et l’annonce de la récompense de 50 000 livres (56 000 euros) : « je vais effacer mes dettes et dépenser le reste pour vivre ».
RFI