« Il ne suffit pas de dire aux gens : bougez », s’agace Alexandre Feltz, généraliste et adjoint au maire de Strasbourg en charge de la santé. Car un an et demi après le lancement du sport sur ordonnance, force est de constater que le dispositif a du mal à trouver son rythme de croisière.
Pour encourager les généralistes à prescrire davantage de sport, la Haute Autorité de Santé (HAS) dévoile ce mercredi un guide accompagné de fiches pratiques adaptées pour six pathologies. Un pas en avant, mais qui pourrait s’avérer insuffisant si une solution n’est pas apportée à la question du financement…
Un bilan mitigé
Depuis mars 2017, les médecins peuvent prescrire des séances de sport adapté à certains patients, atteints d’une maladie chronique. Mais si les divers retours des observateurs sont encourageants, ce dispositif est loin d’être accessible à tous… Une mission flash en janvier 2018, pilotée par le député Belkhir Belhaddad (LREM) avait d’ailleurs dévoilé un bilan très mitigé un an après le lancement du sport sur ordonnance.
« On a environ vingt demandes par jour soit de clubs sportifs, soit des villes, soit des coachs, soit des clients qui posent des questions sur le sport sur ordonnance, souligne Gatien Letartre, de la société TrainMe, qui gère des coachs sportifs notamment spécialisés en sport santé. Mais dans les faits, on a dû accompagner une cinquantaine de personnes sur le sport ordonnance depuis mars 2017, ce qui est très peu. »
Ce qui ne veut pas dire que le sport santé soit resté sur la ligne de départ. Pour preuve : le réseau de villes françaises sport santé sur ordonnance compte aujourd’hui 65 villes. « Chaque mois, de nouvelles maisons de santé, d’associations, de villes s’engagent, assure Alexandre Feltz, qui pilote ce réseau. La dynamique des territoires se poursuit. » Et avec des résultats probants si l’on en croit cet expert. « Partout où on le met en place, les patients et généralistes adhèrent au sport sur ordonnance et on arrive à une vraie dynamique. Les patients vont mieux, respirent mieux, prennent moins de médicaments, du lien social est créé. »
Préciser les bonnes pratiques
Alors, qu’est ce qui pêche ? Tout d’abord, il fallait un effort de pédagogie envers les médecins. Certains médecins regrettaient en effet que ces prescriptions soient chronophage et compliquées. « Il faut remplir un tableau à entrées multiples en fonction de la pathologie, cela gagnerait à être simplifié », avoue Jean-Christophe Calmes, secrétaire général adjoint de MG France et généraliste à Frontignan. La HAS a donc mis au point un mode d’emploi qui précise la démarche à suivre pour six maladies : diabète de type 2, hypertension artérielle, obésité, maladie coronaire stable, accident vasculaire cérébral et broncho pneumopathie chronique obstructive. Autant de pathologies pour lesquelles l’activité physique a des bienfaits prouvés. « Le sport dans le diabète marche mieux que les médicaments, qui font baisser le sucre, mais pas la mortalité ! », s’enthousiasme le Dr Calmes. « Souvent, quand les gens recommencent seuls à faire du sport, ils ne font pas ce qui bon pour leur santé, précise Alexandre Feltz. C’est pour ça qu’il faut les adresser à des coachs ou éducateurs sportifs formés pour vous remettre en mouvement en fonction de vos capacités, mais aussi d’évaluer cette activité physique, en groupe. »
Si les bénéfices de l’activité physique pour les malades comme les bien portants font consensus, beaucoup de médecins ne sont ni formés, ni informés pour savoir quel sport prescrire à qui, à quelle dose… « Environ 5 % des médecins savent prescrire du sport sur ordonnance, il y avait un problème de pédagogie et de connaissance des médecins, donc ces recommandations, c’est une étape importante, mais ça ne veut pas dire que ça va tout débloquer », prévient Gatien Letartre.
Problème du financement
Car comme beaucoup de connaisseurs du dossier, il pointe le manque de moyens. Pour le moment, la Sécurité sociale ne rembourse aucune de ces séances de sport adapté sur ordonnance. « Un patient à la CMU ne va jamais dépenser 30 euros par mois pour s’inscrire à une salle de sport », résume le Dr Calmes. La mesure bénéficie donc à ceux qui ont les moyens de s’adonner à la gym aquatique et autre yoga. Excepté dans certaines villes engagées. « A Strasbourg, le sport sur ordonnance est gratuit un an et on propose un tarif solidaire la deuxième et troisième année, reprend Alexandre Feltz. L’ARS s’engage beaucoup, mais à Douai c’est uniquement la collectivité qui porte le projet. »
Le financement local provoque donc un inégal accès : « ce n’est pas normal qu’à Strasbourg ou Biarritz vous ayez une ordonnance pour une activité physique, alors qu’à Lille, où il n’y a pas de projet, personne n’y ait droit ! »
Comment financer ce dispositif ?
Si un remboursement par la Sécurité sociale semble un peu trop optimiste pour ces experts, d’autres pistes, avec une gradation de coûts, peuvent être explorées. Comme son nom l’indique, le sport santé relève de deux ministères… On pourrait donc imaginer qu’un budget soit sanctuarisé dans les Agences régionales de santé ou du Centre national pour le développement du sport (CNDS, sous la tutelle du ministère des Sports).
« J’avais proposé un forfait : chaque Français en affection longue durée pourrait toucher de 100 ou 150 euros par an pour ce sport santé, comme pour le sevrage tabagique », avance Alexandre Fetlz. Pour Gatien Letartre, c’est du côté des mutuelles qu’il faudrait davantage négocier. « Les mutuelles ont un vrai bénéfice à faire, car le sport coûte moins cher que les médicaments », résume le cofondateur de TrainMe, qui assure que certaines semblent intéressées.
Peut-être que la stratégie nationale du sport santé, prévue pour janvier ou février 2019, apportera des réponses. « Il est nécessaire que la stratégie nationale du sport santé prenne à bras-le-corps la question du financement, il y a beaucoup d’attentes sur ces annonces. »
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