Sauvetage des migrants en Méditerranée, retour sur les chiffres

Matteo Salvini, vice-président du Conseil italien déclarait fin septembre que les ONG avaient ramené à terre « des centaines de milliers de migrants ». Alors que le navire affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans Frontières cherche un pavillon pour repartir en mer, retour sur ces propos et sur la réalité des chiffres avancés par Salvini. Combien de personnes ont perdu la vie sur la route de Méditerranée centrale et que font les responsables politiques ?

Dans une interview pour le magazine Valeurs Actuelles le 25 septembre dernier, Matteo Salvini déclare que « des centaines de milliers d’immigrés étaient quotidiennement débarqués » sur les côtes italiennes par les ONG. Cette affirmation est fausse. Selon le rapport 2017 de la Garde côtière italienne sur les activités de sauvetage, 120 114 personnes sont arrivées en Italie à bord des navires des ONG en 4 ans.

La première opération, en août 2014, est celle de la plateforme MOAS, lancée par le couple italo-américain Christopher et Regina Catambrone. Cette année-là MOAS sauve 1 450 personnes de la noyade. D’autres associations et ONG leur emboîtent le pas : SOS Méditerranée, Médecins Sans Frontières, Proactiva Open Arms, Sea Watch, Sea Eye, Jugend Rettet, Life Boat, Save the Children, Boat Refugee. Leur rôle devient de plus en plus important : en 2017, 40% des migrants sauvés en mer sont arrivés en Italie à bord des navires humanitaires, en 2015 la proportion était de 13%.

Qui intervient ?

Hormis les humanitaires, ce sont la garde-côtière et la marine militaire italienne qui participent. Dans une mesure nettement moindre et depuis 2015, les moyens des autres pays européens interviennent également, sous l’égide de Frontex et de Eunavfor Med. Et les bâtiments de marine marchande, dont les interventions baissent nettement après 2014, grâce à la présence des humanitaires. En mer c’est une obligation légale d’intervenir dès lors que l’on croise des personnes dont la vie est en danger. Pourtant les pêcheurs italiens qui sauvaient des migrants au large de Lampedusa notamment, dans les années 2011-2013, avaient des problèmes avec la justice.

Le rôle de la Libye

Encouragée par l’Union européenne, qui contribue à la formation de sa garde-côtière, la Libye est devenue l’acteur principal au large de ses côtes. Cela malgré le fait que ses ports ne sont pas reconnus comme des ports sûrs, et que la législation maritime internationale oblige les sauveteurs quels qu’ils soient à débarquer en port sûr. La Libye ramène les migrants dans un pays en guerre, où ils sont placés en détention dans des conditions dénoncées par tous les observateurs, étatiques ou des ONG.

Le 13 août 2017, Tripoli déclare aux autorités maritimes internationales de l’OMIune vaste zone SAR (search and rescue, zone de recherche et de secours). Et en juin 2018, la responsabilité de cette zone de sauvetage passe officiellement sous responsabilité libyenne. Tripoli annonce en effet unilatéralement la création d’un JRCC (centre de coordination de sauvetage aéromaritime). En attendant la création d’un MRCC (centre de coordination de sauvetage maritime) reconnu, dont la mise en place est financée par la Commission européenne et confiée à la garde côtière italienne.

De plus en plus de morts

Lorsque Matteo Salvini parle en septembre dernier de « centaines de milliers de migrants », il se réfère au nombre total de personnes arrivées en Italie par la mer ces dernières années : 611 414 entre 2014 et 2017. Le nombre des arrivées baisse nettement en 2017 (114 286, pour 178 415 en 2016), et plus encore en 2018. Toujours selon les rapports de la garde côtière italienne, 13 808 migrants sont arrivés entre janvier et juin dont 5 204 ont été secourus par les ONG.

Malgré la baisse des départs, 1 267 personnes ont encore perdu la vie cette année, selon l’Organisation internationale pour les migrations. Et depuis la fermeture des ports italiens en juin, et la politique hostile du gouvernement italien à l’égard des ONG, cette mortalité est en forte hausse, comme le montre une étude de l’Institut italien d’études politiques internationales de Milan. Le chercheur Matteo Villa constate que la mortalité en mer est passée de 2% à 6-7% ces quatre derniers mois. Et qu’en moyenne 8 personnes ont perdu la vie chaque jour en Méditerranée centrale, contre trois en moyenne entre juillet 2017 et mai dernier. Le nombre de morts a donc presque triplé, et en l’absence des ONG qui jouent aussi le rôle de témoins, il risque d’être de plus en plus difficile de savoir ce qui se passe précisément en mer. Deux naufrages ont eu lieu en septembre et il a fallu dix jours pour que l’information soit rendue publique, s’étonne Matteo Villa, alors que « normalement » elle est connue dans les deux jours.

Le Parlement européen réagit

Depuis des années de nombreuses ONG, mais aussi des avocats, des personnalités politiques, réclament des voies d’immigration légale pour faire diminuer les dangereuses traversées, et le trafic mis en place par la criminalité organisée. Le 10 octobre, à Strasbourg, les députés de la commission des libertés civiles ont fait un pas dans cette direction, en défendant l’octroi de visas humanitaires dans les ambassades et consulats européens des pays de départ.

Partant du constat que 90% des personnes qui bénéficient d’une protection humanitaire dans un pays de l’Union européenne sont arrivées par des voies irrégulières, et que 30 000 personnes sont mortes en cherchant à rejoindre l’UE depuis l’année 2000, ils demandent à la Commission européenne de légiférer pour permettre la mise en place de ces visas. Mais la proposition doit d’abord être soumise au vote en séance plénière du Parlement. Rien n’est donc acquis. « C’est un petit pas, mais un pas très important », estime Juan Fernando Lopez-Aguilar, rapporteur de la proposition.

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