« J’essaie d’exhumer l’oubli. » Omar Ba interroge l’histoire récente et le développement de l’Afrique à travers une œuvre énigmatique aux résonnances politiques. Créatures mythiques, animaux irréels et symboles géographiques, chaque toile se déploie à la manière d’une bande dessinée pour mieux décortiquer la complexité du monde. L’artiste sénégalais, 41 ans, nouveau talent de l’art contemporain africain, destiné à un avenir de mécanicien, a exposé à ses débuts dans les salons de coiffure et s’affiche aujourd’hui dans des musées prestigieux comme le Louvre d’Abou Dhabi. À travers son œuvre engagée, ce petit-fils de tirailleur sénégalais entend faire l’« Autopsie de nos Consciences », le titre de son exposition à la Galerie Templon, à Paris. Entretien.
RFI : On dit que vous êtes la nouvelle coqueluche des collectionneurs français. Vous savez pourquoi ?
Omar Ba : Je pense que je suis un artiste très accessible. Puis le fait de savoir qu’il y a des chiffres avec des zéros toujours derrière, c’est quelque chose que j’essaie de ne pas me mêler.
Beaucoup de zéros ?
[Rires] Non, pour l’instant, ils n’ont pas encore mis beaucoup de zéros. Et j’espère qu’il y aura d’autres artistes africains, beaucoup d’autres qui vont suivre. L’Afrique a besoin de rêver, mais l’Afrique a surtout besoin de concrétiser ses rêves.
C’est un peu le sens de cette série d’œuvres que vous exposez ici. Votre parcours est assez incroyable pour ne pas dire hallucinant puisqu’à vos débuts, vous avez exposé dans les salons de coiffure et les cafés à Genève.
C’était des clients de ce salon qui étaient venus se couper les cheveux en même temps, et puis découvrir de l’art. Je pensais que j’avais quelque chose à dire. Puis du coup, quand je suis arrivé en Suisse où j’étais aux Beaux-Arts pour faire un master, le travail que je faisais était assez abstrait. Puis je me rappelle, les professeurs me disaient : « on ne voit pas de message, on ne voit rien. Ça ne nous parle pas ». C’est comme ça que je suis arrivé à introduire des figures, des personnages pour créer une communication entre ce que je faisais et puis le public.
C’est peut-être un peu « folklorique » pour eux, c’est ça ?
Il y a ce mot qui est sorti. C’est vrai que c’était choquant.
C’est-à-dire que si c’était un Occidental qui l’avait fait, ils auraient dit, c’est du kitch.
Exactement, parfaitement. Ils auraient dit que c’est du kitch. Et moi, c’était folklorique. Ce qui m’a amené à faire ce que je fais aujourd’hui avec des outils qui ne sont pas destinés à la peinture, avec des supports qui n’étaient pas aussi destinés à l’art, c’est-à-dire cartons ou des bouts de papier ou des bouts de bois, ou du verre. Et c’est comme ça que je suis arrivé à faire ce que je fais aujourd’hui. Grâce à mes galeristes, en l’occurrence à la galerie Templon, j’ai pu avoir une œuvre qui est au musée du Louvre à Abou Dhabi, puis à la Fondation Louis Vuitton.
Ce qui vous arrive, c’est une aventure de fou alors que vous étiez destiné à devenir mécanicien ?
Oui, oui [rires]. En fait, moi, j’avais fait des études de mécanique générale dans une école technique à Dakar. Le déclic a commencé le moment où le professeur nous a donné un devoir sanction. Donc moi j’ai pris le papier, je l’ai retourné. Et derrière, j’ai dessiné une personne qu’on poignarde dans le dos. Il a regardé et il m’a dit : « Qu’est-ce que tu fais dans cette école ? Si j’étais toi, je partirais aux Beaux- Arts aujourd’hui ». Et je suis rentré aux Beaux-Arts.
Du coup, j’ai commencé à chercher la place de l’Africain dans le monde, à essayer de m’intéresser à mon histoire pour comprendre pourquoi cette façon de voir l’Afrique n’est pas juste. Je me suis intéressé aussi à la Seconde Guerre mondiale, la Première, et j’ai vu aussi qu’il y avait les tirailleurs qui sont venus. Ils n’étaient pas dans les bouquins, ni dans les écrits, ni dans les films. Nulle part. L’Afrique a plusieurs fois contribué à l’histoire de l’humanité, mais d’une façon très positive, que ça soit dans l’Égypte antique jusqu’à présent. On se baigne dans cette amnésie qui ne fait pas beaucoup de bien à ce continent.
Tout cela nourrit aujourd’hui les toiles qui sont ici à la galerie Templon. Elles évoquent l’Afrique et le monde. Avec cette exposition Autopsie de nos consciences, vous êtes dans une posture très critique.
C’est pourquoi j’ai traité des sujets sur des jeunes Africains qui s’enrôlent dans des mouvements pour aller lutter dans des causes qu’ils ne comprennent pas. Ou bien des jeunes Africains qui meurent pour traverser l’océan et venir en Europe dans des situations très chaotiques qui détériorent l’image de l’Africain dans ce monde contemporain.
Tout ce que vous dites, c’est en somme ce qui se cache derrière cette apparente simplicité chromatique des toiles à la fois figuratives, mais aussi narratives, avec des bleus froids, rouges vifs, des fonds noirs entourés de symboles. Vous cherchez à exhumer l’oubli.
Oui, bien sûr. J’essaie d’exhumer l’oubli. J’essaie de mettre l’accent sur nos identités du peuple noir.