Pour la première fois depuis le retour à la démocratie en 1988, un candidat de l’extrême droite pourrait arriver au pouvoir au Brésil. Le thème principal de la campagne présidentielle qui s’achève aura été l’insécurité, préoccupation numéro 1 des Brésiliens, actuellement confrontés à une flambée des violences, notamment dans le nord-est du pays. Reportage à Recife, la capitale de l’Etat de Pernambouc.
Dimanche 7 octobre 2018 aura lieu le premier tour de l’élection présidentielle brésilienne, et ce sera un scrutin complètement inédit dans l’histoire de ce géant d’Amérique du Sud puisque le sulfureux député et ancien militaire Jair Bolsonaro, candidat de l’extrême droite, peut l’emporter. Sur fond notamment d’insécurité.
Il y a des chiffres qui font froid dans le dos : à lui seul, l’Etat du Pernambouc concentre 1% des homicides de la planète tout entière. Une statistique qui se transforme pour les habitants de Peixinhos, dans la banlieue nord de Recife, en une réalité brutale : les homicides en pleine rue y sont fréquents.
Il y a six ans, Carmen, Afro-Brésilienne et mère de 14 enfants, a ainsi perdu un fils. « C’était dans un « four », c’est-à-dire dans un point de vente de drogue. Ils l’ont tué de trois balles dans la tête », confie-t-elle à RFI. Et ce drame, la mort d’un fils par balle, n’est pas le seul auquel Carmen explique être confrontée.
La même année, un autre de ses enfants était incarcéré pour trafic de drogue. Sa peine vient tout juste être prononcée, et Carmen a peur pour lui : « Je sais que quand il sortira de la prison, ce n’est pas vers moi qu’il ira. C’est ça qui m’inquiète. Je ne suis pas préoccupée par mon fils qui est mort, mais par celui qui est vivant, en prison. Car je sais que quand ils sortent de là, ils meurent. Ou ils tuent. »
Une politique de sécurité basée sur la répression
Dans son combat contre la violence, l’Etat mise uniquement sur la répression. L’instrument de cette politique est la police qui, selon un policier interviewé par RFI, est « constituée comme une force armée pour défendre une élite, et non comme une police dont la mission est de protéger les droits de tous les citoyens » (voir encadré).
Les policiers obtiennent des primes pour chaque arrestation d’un trafiquant de drogue. Conséquence : les prisons sont surpeuplées. Cette stratégie, au lieu de la combattre, ne fait qu’augmenter la violence, explique Elisangela Maranhao, directrice de l’association Grupo Comunidade Assumindo Suas Crianças (GCASC).
« Un discours de répression comme celui du candidat de l’extrême droite Jair Bolsonaro trouve un grand écho dans la société brésilienne. Notre société a une culture de condamnation et de persécution des personnes pauvres », dit-elle. Et d’ajouter qu’en 2018, presque 4 000 personnes ont déjà été tuées dans l’Etat du Pernambouc :
« Toutes les victimes étaient jeunes, noires et vivaient dans des quartiers pauvres. Les racines de cette violence, on les trouve dans l’exclusion sociale. Les personnes qui naissent dans ses quartiers n’ont pas de droits, ils leur sont refusés. Nous avons encore beaucoup de travail à faire pour sensibiliser la société à cette question de l’exclusion sociale. »
Afin d’inciter les autorités à repenser leur stratégie, Elisangela Maranhao et d’autres militants des droits de l’homme ont organisé des assemblées populaires dans tout l’Etat. Avec les habitants des quartiers concernés par la violence, ils ont élaboré un plan pour améliorer la sécurité.
« Ce forum populaire nous donne une légitimité politique pour aborder le fait qu’il n’y a pas de stratégie de sécurité publique. Notre approche s’appuie sur la nécessité d’une transformation sociale des personnes qui sont confrontées tous les jours à la violence », relate-t-elle.
Une première victoire pour la société civile
En cette année électorale, l’initiative a forcé les candidats au poste du gouverneur à réagir : ils ont souscrit aux propositions citoyennes. C’est la première fois que la société civile se mobilise en faveur d’une politique de sécurité citoyenne, se réjouit le pasteur Tales Messias Ferreira, l’un des initiateurs du Forum populaire.
Tales Messias Ferreira dénonce une politique de sécurité à court terme, guidée par des stratégies électorales. « Nous sommes proches des élections », dit-il. « Si vous augmentez de manière significative le nombre de policiers et si vous incarcérez massivement des personnes,la violence baisse forcément. »
« Les autorités misent sur une thérapie de choc. Et obtiennent effectivement une baisse de la violence. Mais cette répression ne peut pas durer très longtemps. Et une fois les élections passées, les esprits calmés et la sécurité n’étant plus LE sujet dont tout le monde parle, la violence repartira à la hausse. »
Un avis partagé par Elisangela Maranao qui parle d’un premier succès pour la société civile : « Les candidats se sont engagés à institutionnaliser le dialogue avec les citoyens. » Mais le spectre d’une victoire de Jair Bolsonaro fait très peur à la directrice de l’association GCASC.
Déjà, dans le quartier de Peixinhos, le discours en faveur de la répression et des armes à feu commence à séduire, a remarqué Carmen, à son grand regret. « Il y a beaucoup de gens qui disent qu’il faut voter pour ce Bolsonaro, mais quand j’entends ce qu’il dit et ce qu’il fait… mon Dieu ! Non, je ne voterai pas pour lui », lance-t-elle.
Jair Bolsonaro vient de recevoir le soutien des parlementaires liés à l’agro-industrie et ceux qui représentent les évangélistes. L’ancien colonel expulsé de l’armée peut aussi compter sur l’appui d’une grande partie des militaires et de la police. Et selon les derniers sondages, il a gagné des sympathies dans les favelas. Sauf chez les femmes noires, qui continuent de rejeter massivement sa candidature.