Le Cameroun doit élire dimanche le successeur du président Paul Biya. Dans les régions anglophones, les séparatistes, qui s’opposent au pouvoir depuis plus d’un an et réclament leur indépendance, ont appelé à boycotter le scrutin.
Dimanche 7 octobre, quelque 6,5 millions de Camerounais sont appelés aux urnes pour choisir entre le président sortant, Paul Biya, au pouvoir depuis 36 ans et candidat à un septième mandat, et ses huit opposants. Mais à mesure que la date du scrutin approche, les régions séparatistes anglophones s’enfoncent dans la crise.
Les groupes armés séparatistes ont annoncé qu’ils boycotteraient le scrutin et ont sommé la population de ne pas se rendre aux bureaux de vote. Face à ces menaces, de plus en plus d’habitants des régions anglophones ont quitté leur domicile.
Paul Biya, 85 ans, fait de son côté campagne sur sa capacité à maintenir l’unité et la paix au Cameroun. Malgré l’instabilité des régions anglophones mais aussi de l’Extrême-Nord, toujours menacé par le groupe jihadiste Boko Haram, il semble en passe d’être réélu. Hans de Marie Heungroup, politologue et chercheur à l’International Crisis Group, décrypte cette situation pour France 24.
France 24 : Quels sont les principaux enjeux de cette élection selon vous ?
Hans de Marie Heungroup : Il n’y a pas véritablement d’enjeu sur la question du résultat de l’élection. Il est presque certain que le vainqueur sera le président Biya. Les véritables enjeux sont sécuritaires et politiques. Tout d’abord, il s’agit de savoir comment il sera possible d’organiser l’élection dans les deux régions anglophones du Cameroun et dans la région de l’Extrême-Nord. En ce qui concerne la politique, il s’agit de savoir comment l’opposition va se recomposer après cette élection.
Beaucoup d’opposants espèrent passer numéro un de l’opposition parce que, dans la perspective de l’après-Biya, ils pourraient avoir une chance de remporter la magistrature suprême [lors de la prochaine présidentielle en 2025, NDLR]. Or cet enjeu pose la question des clivages communautaires. Si le numéro un est, par exemple, Akere Muna (Front populaire pour le développement, FDP), cette position reviendrait à la communauté anglophone dont est communément issu le chef de l’opposition. Si en revanche il s’agit de Maurice Kamto (Mouvement pour la renaissance du Cameroun, MRC), cela reviendrait à dire que le principal opposant est un Bamiléké. Pour beaucoup de Camerounais, cette communauté est vue comme ne devant pas accéder au pouvoir car elle détiendrait déjà le pouvoir économique et aurait une puissance démographique très importante.
Le pouvoir actuel au Cameroun a tous les moyens de gagner l’élection mais il va souvent plus loin, c’est-à-dire jusqu’à décider l’ordre d’arrivée au sein de l’opposition.
Quelles mesures le gouvernement camerounais peut-il prendre pour assurer la tenue de l’élection en zone anglophone ?
Il aurait fallu organiser un dialogue national sur la question anglophone et demander : « Quelle organisation faut-il pour que les anglophones se sentent plus inclus ? » Les discussions auraient dû être précédées d’un cessez-le-feu ainsi que de mesures d’apaisement du président, comme la libération des personnes détenues. Plus d’un millier d’anglophones ont été arrêtés depuis le début de la crise, la grande majorité sont toujours détenus.
Cela n’a pas été fait. Mais dans un État aussi hyper-centralisé que le Cameroun, un cessez-le-feu est encore possible entre les groupes armés [séparatistes] et les forces de défense et de sécurité.
Quel est le sentiment de la population des zones anglophones vis-à-vis de cette élection ?
En réalité, beaucoup d’anglophones ne se sentent pas concernés. Ils considèrent que c’est une insulte d’organiser une élection alors que dans leurs deux régions, il y a 300 000 déplacés et que le conflit a déjà fait plus de 420 morts civils. Plus de 175 militaires ont également été tués. Même sans la menace des groupes armés séparatistes, une partie des anglophones ne se serait pas déplacée pour voter.
Mais les groupes armés séparatistes sont bel et bien présents et ont menacé de mort quiconque irait voter. Ainsi, même la petite minorité d’anglophones qui aurait pu voter, s’en retrouvera dissuadée. Nous nous dirigeons donc vers une élection en zone anglophone avec un taux de participation des plus bas. Or, une très faible participation poserait la question de la légitimité du président dans ces régions.