Le Prix RFI Théâtre 2018 décerné à Sedjro Giovanni Houansou (Bénin)

« J’estime que l’écriture théâtrale est un cri. » L’auteur béninois Sedjro Giovanni Houansou, 31 ans, est le nouveau lauréat du Prix RFI Théâtre 2018. Son texte « Les inamovibles » parle d’une manière inattendue du retour impossible des émigrants dans leur propre pays. Décerné ce dimanche 30 septembre à Limoges, à l’occasion du Festival des Francophonies, le jury présidé par la comédienne Firmine Richard a distingué « un texte fait d’éclats, d’histoires humaines qui décalent la question de l’exil et de la migration ».

Un mot vient à l’esprit quand on croise ses yeux : détermination. En effet, il avoue d’avoir travaillé très dur pour décrocher le Prix RFI Théâtre, pendant plusieurs années, postulé trois fois. Enfin couronné, il se sent soulagé : « C’est super important pour moi. Cela va certainement marquer toute ma vie. »

Sedjro Giovanni Houansou, auteur dramatique et metteur en scène d’origine béninoise. Une personnalité multiple. Comme ses prénoms. Sa thèse de théâtre et le texte lauréat, il les a signés avec Sedjro, mais beaucoup le connaissent aussi sous son deuxième prénom, Giovanni, très peu courant au Bénin : « Quand je suis né, mon père voulait me nommer Jean. Un ami prêtre lui a conseillé : non, Jean est trop courant. Garde Jean, mais l’appelle Giovanni, cela veut dire Jean en italien (rires). Voilà comment je suis devenu Giovanni… »

L’écriture des Inamovibles a traversé trois pays, avec une résidence d’écriture à Conakry, un séjour aux Praticables à Bamako et à la fin avec une bourse d’écriture à Dakar. À la fin, Houansou a accouché sur le papier l’histoire de Malick, le récit d’un Africain de 36 ans partant en Europe et qui échoue.

« Les Inamovibles n’est pas l’histoire d’un échec »

« Pour moi, ce n’est pas vraiment l’histoire d’un échec, souligne Houansou. C’est l’histoire de sentiments et de ressentiments. Les sentiments des personnes qui sont parties et le ressentiment, la colère des jeunes en Afrique qui pensent – à tort ou à raison – qu’il faut qu’ils partent. C’est aussi une partie de ma colère à moi. J’ai envie que les gens puissent aller d’un coin à l’autre, librement, sans être bloqués par les frontières tant physiques que spirituelles ou par le rejet des autres. »

Les Inamovibles raconte notre époque « où les hommes ont perdu l’humain en eux ». Ce monde de forteresses recrache les candidats malheureux et les condamne à un retour impossible. Ce retour refusé, on le vit avec ceux qui n’arrivent plus à renter dans leur propre pays.

« Je voulais aborder l’immigration sous l’angle  : okay, vous avez échoué dans votre quête de partir. Mais qu’est-ce qui se passe quand vous avez envie de revenir chez vous ? Même si on les aide à revenir ou donne de l’argent pour se reconstruire chez eux, est-ce qu’ils reviennent « entiers » ? Est-ce qu’il n’y a pas une partie d’eux qui reste quelque part ? »

L’homme et le train

Un vrai travail de recherche. Dans le texte, l’absurde côtoie l’anecdotique et la politique les punchlines : « En France, c’est l’homme qui se jette sous le train, mais à Conakry, c’est le train qui se jette sur les hommes ». Le tout sublimé par un style d’écriture musclé et taillé. L’originalité commence dès les indications au début du texte. Sedjro G. Houansou ne préconise pas de guillemets ou de parenthèses, mais des barres obliques, des slashs //.

« Le texte travaille beaucoup avec la pensée des personnages. Entre les slashs, j’ai voulu écrire un texte qu’un metteur en scène peut très bien utiliser comme étant des propos d’un personnage tout comme il peut l’utiliser comme des didascalies [des indications données à un acteur par l’auteur d’un texte, ndr]. Ce ne sont pas vraiment des indications, c’est entre des indications et des prises de paroles. »

Sans détour, Les Inamovibles aborde cette incapacité de retenir les jeunes. Houansou fait apparaître plusieurs jeunesses (une première, deuxième, troisième, quatrième jeunesse) qui ne cherchent pas forcément à partir, mais qui se disent, comme la quatrième jeunesse dans la pièce, poursuivis par la rage : « En France, on finit par mourir. Ici, on est né mort. » Donc, pas de solution à l’horizon, seulement un phare qui a depuis longtemps arrêté à guider les gens.

« La déchéance de l’espoir en Afrique »

« J’ai voulu travailler sur la déchéance de l’espoir en Afrique, affirme l’écrivain béninois avec une grande fermeté. C’est-à-dire qu’il n’y a plus rien, rien, rien, qui tienne les jeunes du point de vue de l’espoir, de l’espérance. C’est complètement fichu. On ne peut pas leur vouloir. Et moi, j’ai juste posé des questions. La seule source de joie qu’on a avec les jeunes Africains, ce sont les matchs de football. C’est le moment où l’on sent qu’il y a encore de la jeunesse, des gens qui vivent, qui sont contents. Mais les discussions autour des matchs de football, c’est toujours un décalé : il faut trouver une solution, il faut qu’on bouge d’ici… C’est cela que je voulais transporter dans le langage que j’ai adopté… »

Né en 1987 à Cotonou, Sedjro Giovanni Houansou a commencé à l’âge de seize ans de monter sur les planches. Avant de devenir auteur, il a suivi une formation à l’université, un Master en gouvernance et démocratie. Et il continue à traiter ce sujet dans ses textes pour le théâtre : de la Rue bleue en 2016 jusqu’aux Inamovibles en 2018.

« J’estime que l’écriture théâtrale est un cri, confie le lauréat du Prix RFI Théâtre. Pour moi, l’écriture dramatique est une façon de crier, de trépigner, de cogner la porte… tout cela pour qu’on vous entende. Au-delà de cela, c’est un moyen qui nous permet de rencontrer des gens et de poser des questions. Autour de ces discussions, on pourrait obtenir des meilleurs gouvernants, même si cela est carrément de l’utopie [rires]… Moi, j’ai été impacté par les pièces de théâtre. Par exemple, une pièce d’Aristide Tarnagda qui est passée à Cotonou, Et si je les tuais tous Madame ?. Il y a des pièces d’Ousmane Aledji qui a travaillé sur l’infanticide… Il y a une série de pièces qui ont forgé mon regard… Elles inspirent ma façon de vivre aujourd’hui, ma relation avec les hommes, ma façon de voir, ce que j’accepte et ce que je n’accepte pas… »

Le théâtre au Bénin

Il ne veut surtout pas donner des leçons, mais ouvrir des chemins pour le théâtre. Sa première pièce, 7 Milliards de voisins, publiée en 2012, aborde le thème de la cohabitation des individus, mais aussi des États et figure aujourd’hui comme l’un des spectacles les plus joués au Bénin. Mais tout reste relatif.

« Combien de théâtres il y en a au Bénin ? On a trois ou quatre salles de théâtre et parmi les quatre il y a peut-être deux qui acceptent de programmer des jeunes. Nous, on a mis en place d’autres dynamiques qui nous permettent d’aller vers des espaces non-conventionnels : une rue, une cour d’école, une salle de classe, etc. Donc, aujourd’hui, je peux dire que 7 Milliards de Voisins a été représenté une cinquantaine de fois au Bénin. C’est beaucoup. Il y a très peu de pièces qui ont fait dix, vingt ou trente représentations. Actuellement, des jeunes jouent ce spectacle en dehors du Bénin. La dernière fois, c’était il y a trois ou quatre jours, au Burkina Faso. »

Pour avoir un impact, il faut connaître son public. « J’ai écrit 7 Milliards de Voisins à un moment où j’avais envie d’écrire quelque chose qui parle aux peuples d’Afrique. Parce que nous, les auteurs travaillant en Afrique, nous avons une difficulté : c’est très difficile d’écrire un texte qui est à la fois joué et accepté en Afrique et en Europe. Donc, on est tout le temps entre ces deux chaises-là. »

Des Embuscades de la Scène au Benincrea.net

À 31 ans, il a déjà lancé plusieurs initiatives au Bénin pour aider les auteurs encore plus jeunes que lui. Les Embuscades de la Scène sont une plateforme annuelle ouverte aux jeunes créateurs du domaine théâtral. Et puis, il y a la nouvelle plateforme numérique : Benincrea.net. « Ce qu’on essaie de faire souvent, c’est de trouver des moyens pour contourner les barrières que nous avons dans nos pays. On n’a pas les infrastructures, donc comment amener les gens dans les salles de théâtre ? En 2013, j’avais envie de monter un texte de Mohammed Moulessehoul, que tout le monde connaît sous le nom de Yasmina Khadra. J’ai tapé à plusieurs portes pour avoir un lieu pour jouer. À l’époque, on ne m’avait pas accepté. Du coup, cela m’a un peu fâché et je me suis dit que je vais créer un espace pour les jeunes qui n’ont pas encore fait une mise en scène qu’ils puissent dire : oui, j’ai déjà joué ici. Et on a sorti Les Embuscades de la Seine. »

Quant aux réseaux sociaux, ils sont vite devenus indispensables : « Quand on est allé vers les communautés pour leur dire que nous voulons faire un spectacle, le premier moyen pour les atteindre, c’est WhatsApp, Facebook, puisque nous n’avons pas les moyens pour aller à la télévision pour faire un spot publicitaire. Donc, on se déplace vers le public. À l’époque, un billet de théâtre coûtait peut-être deux euros et on morcelait le ticket en trois, quatre, cinq tranches. On l’a fait avec la pièce d’Ousmane Aledji et on a fait tout le temps salle pleine. On a compris qu’il fallait changer de méthode. Cette année, on a mis la plateforme Benincrea.net pour relayer les opportunités qui viennent d’ailleurs vers les jeunes, parce qu’on est dans un pays où les informations culturelles ne circulent pas beaucoup. Et comme on n’a pas de financement de l’État pour payer la publicité, on trouve des moyens pour avancer quand même. »

Espérons que le Prix RFI Théâtre lui aide à avancer dans la bonne direction : « ce prix restera inamovible dans mon cœur ».

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