L’éventualité d’une cinquième candidature d’Abdelaziz Bouteflika, malgré un état de santé chancelant, est l’arbre qui cache la forêt. C’est surtout sur les enjeux de la prochaine présidentielle qu’il convient de se pencher : une classe politique sclérosée, une administration pléthorique et une défiance maladive à l’égard du secteur privé…
Édito. Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, cloué dans un fauteuil roulant depuis l’accident vasculaire cérébral dont il a été victime le 27 avril 2013, briguera-t-il un cinquième mandat en avril 2019 ? Ailleurs dans le monde, à de rares exceptions près, la question pourrait paraître saugrenue. Pas en Algérie.
Mais puisque personne, pas même l’intéressé, ne sait s’il poursuivra le plus long « règne » d’un président algérien ou s’il passera la main, il est prématuré, voire inutile, de s’étendre sur la question. Les enjeux de la prochaine présidentielle, c’est-à-dire la situation et les perspectives du pays, méritent en revanche que l’on s’y arrête.
De quoi l’Algérie a-t-elle le plus besoin aujourd’hui ? De modernité, tout simplement. En politique, d’abord, pour instaurer un véritable débat démocratique et renouveler les cadres qui ont fait leur temps. La nation ne peut plus s’offrir le luxe de se dispenser des idées neuves d’hommes et de femmes moins enclins à rechercher et à conserver des privilèges – et à lécher les babouches du zaïm – qu’à bien faire leur travail : proposer, discuter, faire bouger les lignes, préparer l’avenir, représenter dignement leurs électeurs.
Classe politique sclérosée
La classe politique algérienne est sclérosée. Pas une nouvelle tête n’a émergé. Ce sont les mêmes leaders et personnalités dont on parle depuis toujours, toutes tendances confondues.
Autre défi, colossal, la réforme de l’administration, cette hydre bureaucratique qui fait crouler toute une population sous des tombereaux de paperasse et transforme la vie quotidienne du citoyen lambda ou de l’entrepreneur en infernal parcours du combattant. Un héritage des années Boumédiène, anachronique, paralysant, voire suicidaire pour un pays qui a vocation, par son jeune âge, ses potentialités et ses richesses, surtout dans l’environnement mondialisé qui est le nôtre, à innover, à libérer ses énergies et à rayonner par-delà ses frontières.
Ensuite, et par conséquent, la sphère économique. Il faut en finir une fois pour toutes avec cette défiance maladive à l’égard du secteur privé, considéré depuis trop longtemps comme l’ennemi à abattre. Pourquoi renoncer à la créativité dont font preuve chaque jour les Algériens ?
À cette aptitude, érigée en art, à toujours se débrouiller pour contourner les obstacles ? Pourquoi ne pas « légaliser » un secteur informel parmi les plus dynamiques du monde ? Car ce n’est que par le secteur privé qu’on pourra enfin diversifier une économie « monomaniaque », créer des emplois et relancer une industrie dans le coma depuis des lustres. C’est une évidence qu’il est absurde d’avoir à rappeler au XXIe siècle.
Enfin, le volet social. Inonder de dinars – et il y en a moins qu’hier – ceux qui ne s’en sortent pas, sans se pencher sur les raisons de leurs difficultés, c’est soigner les symptômes du mal sans jamais s’attaquer à ses racines. Une aberration.
A quoi servirait un cinquième mandat ?
On en revient à la politique économique, à l’initiative privée, au cadre fourni par l’État, etc. Une société, quelle qu’elle soit, a aussi besoin d’air, et c’est peu dire que la société algérienne étouffe, asphyxiée par le conservatisme, les tabous, l’absence de loisirs et d’accès à la culture, la corruption endémique et le culte de l’argent facile. Et s’enferme dans le déni : son code de la famille, et la place qu’il réserve aux femmes en particulier, est un autre anachronisme difficilement acceptable. Autant demander aux Algériens de ne marcher que sur une jambe…
Ces multiples fers aux pieds – dont la liste n’est hélas pas exhaustive – ne sont évidemment pas le fait d’Abdelaziz Bouteflika. Ils existaient bien avant lui et sont tellement ancrés dans les mentalités qu’ils semblent presque impossibles à briser. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis 1999 : réconciliation nationale, stabilité, davantage d’infrastructures, d’universités, d’écoles ou d’hôpitaux que durant tout le reste de la période post-indépendance. Mais il reste tant à faire, surtout le plus dur : révolutionner les mentalités.
À quoi servirait un cinquième mandat – et du reste aussi le premier mandat d’un nouveau venu – sinon à régler les vrais problèmes ? Celui qui sera élu en 2019, quel qu’il soit, aura en tout cas une lourde responsabilité sur les épaules. Et l’avenir du pays entre les mains.
Source: Marwane Ben Yahmed (jeune Afrique)