Dans l’ombre des 147 millions d’électeurs brésiliens appelés aux urnes dimanche pour le premier tour de la présidentielle, plus de 7 millions sont issus des favelas. Mais rares sont les candidats qui font campagne dans ces quartiers déshérités.
Le même regard déterminé, les mêmes cheveux afro fièrement portés. Renata Souza a de qui tenir : à 36 ans, la candidate au poste de député de Rio de Janeiro a repris le flambeau de Marielle Franco, l’activiste féministe tuée de quatre balles dans la tête il y a six mois, devenue le symbole de la lutte pour les droits des femmes et des Noirs.
Surnommée la « nouvelle Marielle », Renata Souza, originaire, tout comme son mentor, du groupes de favelas Complexo da Maré, bat le pavé depuis trois mois pour faire gagner ce qu’elle appelle « la voix des femmes et des favelados oubliés ». « On veut intégrer la sphère politique – qui historiquement nous appartenait –, nous les femmes, les femmes noires, les habitants des favelas, lance-t-elle. On doit proposer des politiques publiques concrètes et utiles pour nous, qui permettront de diminuer les inégalités sociales”. Mais le chemin semble encore long dans une ville où seulement 10 % de l’Assemblée législative est composée de Noirs, pourtant majoritaires dans le pays.
Force est de constater que 7 millions d’électeurs issus des favelas peinent à se faire entendre. « La seule vision que l’on a de nous, c’est celle d’un voleur, d’un bandit noir dont il faut à tout prix se protéger », s’emporte Eduardo Carvalho, reporter d’un journal communautaire âgé de 20 ans. Il est devenu le porte-parole de sa favela, Rocinha, l’une des plus grandes d’Amérique latine avec quelque 70 000 habitants.
« Une population de bandits et de fainéants »
« Nous sommes instrumentalisés par Jair Bolsonaro », poursuit le jeune homme, qui craint la montée en puissance du candidat de l’extrême droite, favori des sondages. L’ancien officier, qui a révélé son admiration pour la dictature militaire au pouvoir entre 1964 et 1985, a condamné les aides sociales apportées aux plus pauvres sous la présidence de Lula, « nourrissant une population de bandits et de fainéants ».
Interrogé sur ce qu’il attend du prochain président, Eduardo Carvalho répond, avec tristesse, vouloir seulement la paix. Un vœu pieu qu’aucun président n’a jusqu’alors réussi à exaucer dans ces quartiers où l’armée et la police n’entrent que pour des opérations spéciales. Le jeune homme a peur d’un retour de la dictature qui a tant fait souffrir ses parents venus du Nordeste pour travailler comme employés de maison dans les grandes demeures cariocas des militaires.
Des sans-voix instrumentalisés
Une instrumentalisation qui n’est pas « l’apanage de la droite », note Sergio Praça, politologue à l’Institut Getulio Vargas de Rio de Janeiro et spécialiste de la gauche brésilienne. « Lorsque Fernando Haddad [du Parti des travailleurs (PT)] est entré officiellement en campagne, le premier conseil que lui a donné Lula depuis sa prison est de faire campagne à Rocinha ». « En clair : s’il n’allait pas dans une favela, il n’avait pas commencé sa campagne”, conclut le politologue.
Mais marcher dans les pas de son mentor, incarcéré pour corruption depuis six mois, si populaire dans les quartiers pauvres, s’avère délicat pour l’ancien maire de São Paulo, challenger de Jair Bolsonaro. Seule façon de tirer son épingle du jeu pour le candidat du Parti des travailleurs : affirmer que voter pour lui, c’est voter pour Lula.
Ainsi, les habitants des favelas portent l’espoir de renouer avec la période de progrès sociaux connue avec l’ancien président du pays. « Je pense que le Parti des travailleurs a la faveur des pauvres », s’avance Sergio Praça. « C’est le seul parti qui, au pouvoir, a fait diminuer les inégalités dans le pays ».