Ethiowar, voyage au sommet de la colline du Bandafassi

Ethiowar, voyage au sommet de la colline du Bandafassi

11 septembre 2018 0 Par univers-actu
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IGFM-Perché sur le plateau de Bandafassi, à 15 kilomètres de la région de Kédougou, Ethiowar, village Bédik, vit paisiblement, loin de la modernité et des mondanités. Reportage !

Il est des endroits où la paix et le silence sont tels que le temps n’a plus de valeur. Où les jours se suivent et se ressemblent. Comme la montagne se confond à la nature. Comme le nid s’incruste à l’arbre. Perché au sommet de la colline du Bandafassi, à 15 kilomètres de Kédougou, lointaine bourgade du sud-est du Sénégal, située à 732 kilomètres de Dakar, Ethiowar a les traits escarpés, le corps rocheux.

Le village est à l’image de ses habitants : les Bédik. Une minorité ethnique, partagée entre l’animisme et le christianisme. Un peuple qui a su protéger sa culture, malgré la pression de la modernité. L’accès à cette forteresse est difficile. Aucun véhicule ne monte à Ethiowar. On s’y rend à pied. L’effort commence au bas de la colline. Pendant près d’une demi-heure, on arpente la délicate montagne faite de pentes abruptes et rocheuses. La montée se fait posément pour mieux contempler le paysage et éviter par la même, d’éprouver sa capacité physique, le dénivellement étant quelques fois énorme, ce qui rend le chemin plus dur.
Logée dans la montagne Bédik, qui s’étend sur 181 km² et émerge de la plaine de Bandafassi. La montagne culmine à 470 mètres, soit 300 mètres environ au dessus de la plaine. Et au bout, tout au bout se dresse Ethiowar. Il est l’un des villages construits sur les plus hautes altitudes du Sénégal. De loin, il se présente comme un ensemble de cases aux toits pointus, serrés entre les éboulis rocheux que l’on découvre sur un plateau, après avoir escaladé la montagne. A l’image de tous les villages Bédik qui sont perchés sur des sites défensifs.

Oumar Keïta a 73 ans. Son quotidien est aussi simple que l’histoire de sa vie. Il raconte, fier comme un Bédik : «Nos ancêtres ont résisté aux assauts des peuples islamisés du royaume de la Guinée, en se réfugiant en haut des montagnes, afin de rester isolés. À leur installation, les Bédik travaillaient de nuit, et pour se cacher le jour dans les grottes, ce qui fait qu’ils sont parvenus à garder intactes leurs traditions animistes jusqu’en plein 19e siècle, qui marque l’arrivée des missionnaires. De ce fait, les deux religions, animisme et christianisme, cohabitent de nos jours, dans tous les villages de cette ethnie.»

En cette matinée d’hivernage, Ethiowar bruit d’un silence assourdissant. Seules une femme et quelques filles s’affairent aux tâches ménagères dans la cour d’une maison. On entendrait même le gazouillement des oiseaux. «Yang Fodé» (comment-allez-vous ? en bedik), sert-on. «Yang Fo» (nous allons bien), répondent en chœur la dame et les filles, sourire en coin. L’accueil est chaleureux. L’on propose d’attendre le chef de famille et l’on charge un enfant d’aller le chercher. Il rapplique dare-dare. Oumar Keïta est un bout d’homme. Une petite hache en main, ses plastiques usées sont trempées de boue, il invite sous le grand fromager, place publique du village.

A Ethiowar, la première barrière est linguistique. Oumar ne parle ni la langue officielle, le français, encore moins la langue nationale, le wolof. Il parle peulh. Le guide, Aliou Bâ, devient alors l’interprète. «Mon père m’a dit que Ethiowar, Iwol et Itato font partie des premiers villages de la commune de Bandafassi. Ethiowar a été créé par la famille Camara, dont les membres sont en général les chefs de village. Il y a les familles Keïta venues du Mali qui ont créé le village de Bagnagar. Elles étaient venues se réfugier au pied des massifs de Bandafassi, lors de la guerre entre Soumaoro Kanté et Soundjata Keïta. Lorsque les Camara et les Keïta se sont rencontrés, ils ont décidé de vivre en communauté et ont quitté leur village d’origine (les premiers au sommet de la montagne et les seconds au pied de la montagne), pour créer un nouveau village, Ethiowar, au milieu du massif de Bandafassi. Il y a aussi les Bangoura et les Samoura. Ethiowar signifie en Bédik, un endroit attractif», confesse Oumar Keïta, sûr de son propos.

Plus que deux familles à Ethiowar
Pantalon marron, sur une blouse bleue foncée, chapeau bien vissé sur la tête pour se protéger de la chaleur, Oumar Keïta semble dans son élément. L’homme porte Ethiowar dans son cœur. Ce village l’a vu naître et Oumar craint pour la survie de son cher Ethiowar. La raison : Ethiowar semble avoir perdu de sa superbe. Le village ne vit plus. Il survit. Dans la vingtaine de cases que constitue ce nid humain de la colline du Bandafassi, seule une vingtaine de personnes résidant dans deux maisons, y sont restées. Les autres ont préféré rejoindre le bas de la montagne, à la recherche de meilleures conditions de vie. «Il ne reste plus que deux maisons, les autres sont descendus et ont créé le village de Indar. Leurs maisons sont inoccupées. Ils ne reviennent qu’en période de fête. Nous savons que nos enfants sont instruits et qu’ils ne peuvent pas vivre dans des conditions difficiles, et que tôt ou tard, ils vont finir par descendre», assure le patriarche du village, impuissant. «Pourquoi n’êtes-vous pas descendu comme les autres ?» «Je ne sais même pas, je pense que cela relève de la volonté divine», sert-il. Ni plus, ni moins. A leur manière, les quelques âmes qui constituent Ethiowar ont leur mode de vie. Une vie au rythme de fêtes. Malgré de dures conditions de vie, ça chante, ça danse. «Ceux qui sont descendus ne reviennent le plus souvent que s’il y a des fêtes à Ethiowar.

Il y a une fête qui s’appelle Iyala où il n’y a que les hommes. Il y a une autre qui s’appelle Mathiako. Ce sont des fêtes purement Bédik. Mais les hommes et les femmes ne se mélangent pas, ils chantent, ils dansent. Il y a un espace qui est aménagé pour les vieux.» Même sous le grand fromager, tout est réglementé. «Sur la place publique, les places sont octroyées selon les noms de famille, les âges. Il y a aussi la case sacrée, où les amoureux discutent, avant de sceller les mariages.» Conservateurs dans l’âme, le rythme de vie est le même qu’autrefois. A 21 heures, presque tout le monde est au lit et à 06 heures du matin, comme une montre, le coq se charge de les alerter pour commencer déjà la journée. Une journée vécue dans la joie, l’harmonie et la bonne humeur. Une entente qui se remarque jusque dans la construction de leurs maisons. Les habitations sont serrées les unes contre les autres et la circulation s’effectue indifféremment dans toutes les directions, en traversant les cours. L’architecture Bédik est simple. Pas de grand luxe.

La construction des maisons est faite par les hommes : en pierres de latérite superposées. Le krinting est tressé sur les montants de bambou plantés dans le sol et le mur est ensuite enduit de terre sur sa face interne. La charpente est réalisée en bambou et couverte d’assises de paille tressée se chevauchant. L’habitat, constitué de cases, a en commun le toit : il est conique et couvert de paille. Les maisons sont disposées circulairement, dessinant une cour où sont répartis des bancs, ou lits extérieurs, faits de palmiers raphias rangés côte à côte qui reposent sur un cadre. De petits canaris, des fourneaux trainent dans les cours. Entre les maisons, on trouve des plateformes où sont entassées les récoltes.

L’agriculture, l’activité de tous
L’économie, surtout rurale, a longtemps été une économie de subsistance, sinon de survie dans cette zone refuge qui a fonctionné comme un isolat. Les paysans Bédik recherchent avant tout l’équilibre alimentaire. Environ 80% de la production est utilisé pour l’autoconsommation. Le mil, l’arachide et le fonio sont la base de leur alimentation, à laquelle s’ajoute le maïs. «Nous vivons d’agriculture. Nous cultivons le mil, le fonio, l’arachide. Pendant la saison des pluies, le matin, nous allons aux champs, après, nous rentrons pour déjeuner, nous nous occupons des autres tâches. Et pendant la saison sèche, pour avoir de quoi nous nourrir, en excellents artisans, nous fabriquons des vanneries de bambou et de raphia que nous allons vendre à Kédougou. Nous sommes aussi dans l’élevage et nous vendons parfois nos bêtes pour survivre», détaille Oumar. A Ethiowar, l’on ne veut toujours pas se départir de cette tradition qui fait du ‘’Tori’, le plat principal. Un plat fait à base de maïs ou de mil, accompagné de gombé séché, de graine de néré, de piment et du sel. La préparation des aliments est une tâche essentiellement féminine. La cuisine se fait en plein air pendant la saison sèche : le feu est allumé entre trois pierres sur lesquelles est posée la marmite de fonte ou la poterie dans laquelle cuit le repas ; ces pierres sont, chez les Bédik, situées au centre des maisons de la famille, dans la cour, ou dans les champs pendant les cultures, devant l’abri bâti près de l’aire de battage.

Ethiowar dépossédé de tout
Hameau paisible, Ethiowar manque de tout. Il n’y a ni eau, ni électricité, ni poste de santé, encore moins d’école. Oumar Keïta : «Nos enfants font le trajet toute la semaine, pour aller étudier à Bandafassi, puisqu’il n’y rien ici. Même quand nous avons des malades, nous sommes obligés de descendre pour éviter le pire. Pour les femmes enceintes, quand leur ventre commence à se faire voir, elles descendent jusqu’à ce qu’elles accouchent.» Du haut de ses 73 piges, Oumar ne se souvient pas avoir vu une autorité politique grimper les montagnes pour venir s’enquérir de leur situation, de leur vie au sommet de la colline. «Tout ce que nous percevons de l’Etat, nous le récupérons à Bandafassi.» Comment s’appelle le président de la République ?», taquine-t-on, «Macky Sall», répond Oumar, sourire en coin. «Connaissez-vous Youssou Ndour ?» «Non, mais je pense avoir entendu parler de lui.» A 73 ans, Oumar garde encore son endurance. «Pas plus tard qu’hier, je suis descendu de la montagne.» En 73 années d’existence aussi, Oumar n’a jamais mis les pieds dans la capitale sénégalaise. «Je ne suis jamais parti à Dakar, jure-t-il. J’ai été jusqu’à Tambacounda et c’était pour travailler.»

Le syncrétisme religieux, la voie
A Ethiowar, religion, au sens courant du terme, n’est pas appropriée pour traduire l’attitude des populations vis‐à‐vis de Dieu. Il est si proche et si lointain à la fois. On peut presque dialoguer et négocier avec Lui par le biais des incarnations. Pour eux, Dieu est le ciel. Dieu est loin des hommes, alors qu’Il est présent dans les grands arbres, dans les forêts, dans les cavernes. Il y a un esprit protecteur dans le village. Mais on implore la miséricorde divine, quand on perd un être cher, on demande au Tout-Puissant de veiller sur le couple, quand on célèbre un mariage, quand on accueille un nouveau-né. Ethiowar a aussi une particularité religieuse : «Il n’y a pas de musulman par ici», assure Oumar Keïta qui, poliment, exprime son désir de prendre congé de ses hôtes pour retourner aux champs, à son travail, qui lui permet de survivre, loin du tumulte et du stress de la capitale.

Source: igfm.sn