ARTS PLASTIQUES : Enfin la reconnaissance pour les arts de Madagascar?
18 septembre 2018« Très fin et vraiment unique. » Voilà comment Aurélien Gaborit caractérise l’art de Madagascar qui s’expose à partir de ce mardi 18 septembre au musée du Quai Branly : des perles, des sculptures, des tissus, des peintures, des bois de lit, des poteaux funéraires, des photographies… Le commissaire de « Madagascar, Arts de la Grande Île », la première exposition en France sur l’art malgache, a rassemblé 360 pièces extraordinaires pour que cet art à la fois millénaire et contemporain obtienne enfin la reconnaissance méritée, au-delà du regard ethnologique du temps colonial qui a trop longtemps perduré. Entretien avec Aurélien Gaborit, responsable de collections Afrique au musée du quai Branly et responsable du Pavillon des Sessions au Musée du Louvre.
RFI : Le Madagascar, une Grande Île avec un grand Art ?
Aurélien Gaborit : Grande Île, oui, parce qu’elle est grande comme la France, le Luxembourg, la Belgique et la Hollande. Donc, un grand territoire et un grand art très peu connu. Un art qu’il faut regarder de très près. C’est un art qui séduit, mais qui ne s’impose pas. Il faut apprendre à le regarder.
C’est la première exposition depuis celle de 1946 au musée de l’Homme. Est-ce d’abord le colonialisme et ensuite le regard resté colonial qui ont empêché le développement, la reconnaissance et la diffusion de l’art malgache ?
C’est la première exposition d’art. Il y avait, effectivement, une exposition en 1946 qui parlait plutôt d’ethnologie de Madagascar, d’ethnographie. Mais, c’est vrai, depuis la colonisation au début du XXe siècle [l’annexion de Madagascar par la France eut lieu en 1897, ndlr], l’art de Madagascar était très dénigré. D’une certaine façon, on avait expliqué que c’était un sous-produit de l’art africain ou un sous-produit de l’art asiatique, alors que, en fait, c’est un art qui a connu des influences africaines, asiatiques – mais pas uniquement – et de beaucoup d’autres pays. C’est vraiment un art original malgache qu’on ne peut pas confondre avec un autre art des cultures alentour.
Avec l’art africain, le basculement d’un regard ethnologique vers un regard artistique ou esthétique a eu lieu dans les années 1930. Quand a eu lieu ce basculement pour l’art malgache ?
Effectivement, la reconnaissance de l’art de l’Afrique a eu lieu au cours du XXe siècle. Je pense que pour l’art du Madagascar, elle a lieu maintenant, depuis quelques années. Depuis des années 1970, peut-être 1960, on reconnait l’art malgache. Bien sûr, cela passe toujours par le plus spectaculaire, l’art des poteaux funéraires, mais, il y a aussi un art du tissage, de la vannerie, des objets sculptés, d’architecture, qui est très important de prendre en compte. Il n’y a pas que des poteaux sculptés. Et j’espère que c’est un art qui va être beaucoup plus connu et reconnu à travers cette grande exposition de 360 pièces qui adopte vraiment le principe de regarder l’objet avant tout comme un bel objet. Un objet qui fait appel aux talents de sculpteurs, de vanniers, de tisserandes, de réussites plastiques.
En quoi consistent la force et l’essence de l’art malgache ?
Pour moi, l’art de Madagascar ne s’impose pas. Par exemple, pour l’art africain, on parle de la grande sculpture de l’Afrique centrale où les sculptures sont frappantes. On est tout de suite impressionné. Pour l’art asiatique, il y a d’autres raffinements. Pour l’art de Madagascar, il y a vraiment quelque chose de délicat. Même dans la sculpture, on voit qu’il y a des choses extrêmement fines, très délicates, dans la vannerie, chez les tisserands, dans les sculptures, les reliefs gravés, l’assemblage de perles… Il y a quelque chose de très fin et vraiment unique.
Parmi les 360 pièces, quelle est la pièce maitresse de l’exposition ?
Il y en a plusieurs, mais, ce dont je suis très content de l’avoir réussi à faire, c’est aussi de montrer des objets hors de la collection du musée ou des collectionneurs. Parce qu’ici, il y a vraiment la place pour les contempler calmement, pour les voir. Je suis très content d’avoir rassemblé le poteau funéraire malgache qui est conservé au Louvre, au Pavillon des Sessions, avec son cousin ou son frère jumeau, une pièce très proche, normalement présentée au Metropolitan Museum de New York. Peut-être c’est le fait d’un même artiste ou d’un même atelier. Et puis, je suis très content d’avoir fait venir des pièces du Musée d’art et d’archéologie de l’université d’Antananarivo. Plus de douze pièces viennent compléter la présentation.
L’exposition commence avec une « caisse descendante », une pièce très colorée et contemporaine de l’artiste Temandrota, et finit aussi avec une œuvre de cet artiste né en 1975 sur l’île, un poteau funéraire basé sur les traditions de la Grande Île. Quel est le rôle donné à l’art contemporain dans cette exposition et au Madagascar ?
Dans cette exposition, il y a plusieurs artistes contemporains. L’idée était de montrer le lien qui existe entre l’art contemporain à Madagascar qui est très peu connu et qui existe pourtant, avec l’art ancien. Donc, il y a le photographe Pierrot Men, le plasticien Temandrota, la tisserande Madame Zo, la famille Efiaimbelo, donc des artistes contemporains vivants qui connaissent l’art ancien et qui créent des échos avec l’art contemporain. C’est aussi pour montrer que l’art de Madagascar n’appartient pas au passé.
Dans le documentaire Mada Underground, des artistes racontent leur situation très précaire. Être aujourd’hui artiste à Madagascar, est-ce une chose difficile ?
Être artiste aujourd’hui à Madagascar, c’est extrêmement difficile. C’est vraiment un choix très compliqué. Les artistes ont besoin de s’exprimer. Certains passent par des écoles, d’autres non. Il y a beaucoup de photographes, de plasticiens, qui ont vraiment du mal à vivre, parce qu’il y a peu de débouchés sur le marché international contemporain par rapport à d’autres pays ou d’autres continents. Madagascar a du mal à faire émerger ses artistes contemporains. Il y en a quelques galeries, quelques collectionneurs – pour moi, ce sont des précurseurs – qui arrivent à trouver des pièces, à les faire connaître, à les montrer, mais c’est vraiment quelque chose de compliqué et qui ne nourrit pas l’artiste qui crée à Madagascar.