« Rafiki » : sens interdits à Nairobi
26 septembre 2018Le film de Wanuri Kahiu, autour de l’idylle de deux jeunes femmes, a été censuré au Kenya, où l’homosexualité est interdite.
L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
La violence pesante de la réaction était prévisible. Elle est aussi incongrue. Rafiki (qui n’est qu’incidemment le nom du mandrill dans Le Roi Lion, mais veut avant tout dire « ami/e » en swahili), n’a rien de pesant. Sa vivacité, sa légèreté opèrent comme un antidote à l’intolérance dont sont victimes ses personnages. Son imagerie vivement coloriée propose une autre image du Kenya que l’immensité miséreuse de Kibera, le grand bidonville de Nairobi vu dans The Constant Gardener, de Fernando Meirelles (2005).
Kena (Samantha Mugatsia) et Ziki (Sheila Munyiva) vivent dans un autre monde que Kibera, dans de grands ensembles au pied desquels se nichent de petites boutiques, des restaurants, des terrains de sport improvisés. La première est issue de la toute petite bourgeoisie. Son père – qui vient de quitter sa mère – est boutiquier et candidat à des élections locales. Lycéenne, Kena s’apprête à passer les examens d’entrée à l’université. L’appartement dans lequel habite Ziki est plus cossu. Elle aussi est fille de candidat, et, au premier abord, on pourrait imaginer que le film sera l’histoire de l’amitié entre deux adolescentes appartenant à des clans opposés, une histoire pour teenagers qui verrait les bons sentiments de la jeunesse triompher sur les rivalités mesquines des adultes.
faut dire que Wanuri Kahiu et son chef opérateur, Christopher Wessels, ont choisi une palette de pastels rehaussés de couleurs criardes, que le découpage fait de temps en temps place à des montages célébrant l’insouciance et le plaisir, que la bande originale fait appel à une afro pop pleine d’entrain. Ce portrait inédit d’une ville d’ordinaire présentée comme une métropole monstrueuse est à lui seul une bonne raison de voir Rafiki.
Beauté austère
Au début, seule la beauté un peu austère de Samantha Mugatsia, l’interprète de Kena, vient troubler cette euphorie. La jeune fille, qui joue au foot avec les garçons et ne leur trouve généralement pas d’autre intérêt que leur capacité à contrôler la balle, semble mue par une force sans objet. Jusqu’à l’irruption de Ziki, extravertie, qui ne masque pas ses appétits.
Leur histoire est brève, condamnée dès le départ. Leurs familles fréquentent la même église, où le pasteur consacre souvent ses sermons à la menace que fait peser l’homosexualité sur la famille et la société. Aux marges d’un groupe de jeunes, un jeune homme gay est en butte aux vexations.
Dans la marche vers l’inévitable catastrophe, l’allure du film se fait moins assurée. La réalisatrice ne parvient pas tout à fait à infléchir la tonalité de son film, les actrices – toutes deux débutantes – à donner corps à la souffrance de leurs personnages. C’est dans un épilogue empreint de tristesse et d’un espoir très mesuré que l’on trouvera la substance qui a fait un moment défaut. Rafikiprend alors une profondeur qui émeut. Qui choque aussi, probablement, puisqu’il a été interdit.