Pour 2018, Netflix mise sur des productions locales à l’image de la série espagnole « La Casa de Papel » au succès planétaire. De l’Amérique à l’Asie en passant par l’Europe et le Moyen-Orient, toutes les régions sont représentées… sauf l’Afrique ?
Netflix a beau être né sur la côte ouest, à moins de 500 kilomètres des lettres Hollywood, l’entreprise ne voit pas le cinéma que par la lorgnette américaine. Bien au contraire. Forte du succès des séries allemande « Dark », britannique « End of the f***ing world » ou espagnole « La Casa De Papel », la plateforme est convaincue que le modèle tout-puissant des superproductions américaines n’a plus lieu d’être.
Alors pour 2018 et les années à venir, Netflix investit en masse dans ce qu’elle appelle le « contenu local », qui devrait aussi permettre de faire grossir son nombre d’abonnés hors des frontières des États-Unis.
La fin du modèle américain
« Le cadre des superproductions américaines est dépassé », réagit Erik Barmack, vice-président des contenus originaux à l’international de Netflix, lors d’un entretien avec Mashable FR. « En fait, les gens veulent entendre des voix venues de partout dans le monde. Plus notre plateforme devient globale, plus on voit de gros succès qui viennent d’hors les États-Unis. On est convaincus à 100 % que d’ici dix ans, ça semblera vraiment désuet de penser que seuls les shows et films qui viennent des États-Unis auront une empreinte mondiale. Ce ne sera plus le cas. »
Depuis l’Amérique du Sud, Netflix a ainsi produit ou co-produit la série de science-fiction brésilienne « 3 % », l’argentine « Edha » ou le film colombien « Pickpockets ». En Asie, l’entreprise de Reed Hastings a misé sur toute une série de productions d’animes japonais parmi lesquels un reboot des « Chevaliers du Zodiaque », le drame sud-coréen « My Only Love Song » ou encore un premier contenu original en hindi, « Sacred Games », adapté du bestseller indien du même nom et attendu pour le 6 juillet 2018.
Un milliard de dollars d’investissement
Mi-avril, alors que Netflix organisait depuis Rome une grand-messe devant des centaines de journalistes européens à laquelle nous avons été invités, on apprenait que 55 contenus originaux étaient également en ce moment en production sur la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique (EMEA). Au total, un milliard de dollars y seront investis en 2018.
En Allemagne, la plateforme co-produit une adaptation du film « La Vague » inspirée de l’étude expérimentale d’un régime autocratique menée par le professeur Ron Jones avec des étudiants de Palo Alto en 1967. En Pologne, la célèbre franchise de dark fantasy « The Witcher » aura aussi droit à son adaptation en série.
En France, un documentaire en plusieurs épisodes sur l’affaire du petit Grégory ou la série « Génération Q » de Noémie Saglio verront le jour, alors que le docu « 13 Novembre : Fluctuat Nec Mergitur » des frères Naudet sur les attentats de Paris sera en ligne le 1er juin 2018. En Turquie, l’acteur Çağatay Ulusoy est en tournage pour la série « The Protector » attendue à la rentrée. Et en Jordanie, Netflix écrit une série d’aventure en arabe, « Jinn ».
Ok pour l’Europe et le Moyen-Orient, mais qu’en est-il de l’Afrique ? « Il n’y a nulle part où on ne regarde pas. Effectivement nous n’avons pas de contenus en production en Afrique, mais on a l’intention d’en avoir, c’est sûr », assure Ted Sarandos, directeur des contenus de la plateforme. Lancé en décembre 2015 en Afrique du Sud, puis à l’ensemble des 54 pays africains en janvier 2016, le catalogue de Netflix sur le continent ne contient pour le moment que des acquisitions.
Concurrencer Nollywood ?
Un catalogue international – qui aurait triplé entre 2016 et 2018 en Afrique du Sud, selon un porte-parole – mais aussi local avec un certain nombre de productions africaines notamment venues des studios nigérians de Nollywood, deuxième puissance cinématographique au monde derrière Hollywood et devant Bollywood. En janvier, un site spécialisé recensait ainsi 25 films de Nollywood rangés dans les catégories « Comédies Nollywood d’Afrique », « Films Nollywood romantiques d’Afrique » ou « Films romantiques d’Afrique » sur la plateforme.
Alors sans doute pour ne pas entrer en concurrence directe avec cette production nigériane déjà bien installée, Netflix pourrait miser sur des contenus originaux produits ailleurs en Afrique. « Bien sûr tout le monde associe l’Afrique à Nollywood, et c’est malheureux car il n’y a pas que ça. Nollywood fait du super travail, mais l’Afrique a beaucoup plus à offrir. Il a plein d’autres storytellers à découvrir », assure Ted Sarandos. Et le son de cloche est le même lorsqu’on échange avec le vice-président des contenus originaux à l’international, Erik Barmack : « Il se passe des choses au Nigeria, mais il y a aussi des réalisateurs très intéressants au Maroc, en Égypte… »
Contrairement aux autres continents qui sont quadrillés par des « commissionners » chargés de développer des contenus locaux depuis les bureaux de Netflix à Los Angeles, Amsterdam, Singapour, Bombay, Tokyo et bientôt Londres, Erik Barmack concède que personne pour l’instant n’est effectivement sur le terrain en Afrique, « mais on a des gens qui regardent ça depuis Amsterdam avec intérêt. Et on va faire des voyages sur place pour voir quelles opportunités on a ». L’objectif est de « commander une série ou un film en Afrique avant la fin de l’année ».
Des obstacles techniques
Reste que peu importe à quel point l’offre de contenus sera séduisante, Netflix se heurte en Afrique à « deux obstacles majeurs : la qualité de connexion à l’Internet et le prix des forfaits de données », soulignait le chroniqueur du Monde Afrique Serge Noukoué. « Au Nigeria, par exemple, 2 gigas de données coûtent dans les 20 dollars, et une heure de Netflix, dans la plus basse des résolutions, consomme un giga. »
Pour pallier ces soucis-là, Netflix, hybride de la tech et du divertissement, investit également des centaines de millions de dollars en recherche et développement afin d’optimiser le streaming de ses abonnés peu importe leur connexion. Au moment de la sortie de la saison 2 de « Stranger Things », Todd Yellin, vice-président en charge de l’innovation produit, nous avait ainsi raconté que les ingénieurs de la plateforme travaillaient sur un système d’encodage pensé pour les smartphones et tablettes, qui ferait varier la densité de pixels d’un plan à l’autre sur l’écran pour économiser des bits.
En février 2018, Netflix a également signé un partenariat avec OSN, un opérateur de télévision payante basé à Dubaï et populaire au Moyen-Orient mais aussi dans toute l’Afrique du Nord, pour que ses abonnés puissent accéder à la plateforme de SVOD via leur box. Un partenariat similaire avait été annoncé en septembre 2017 avec Orange pour les abonnés du Burkina Faso, du Mali ou du Sénégal entre autres.
Si le nombre d’abonnés de Netflix à l’international a désormais dépassé celui des abonnés aux États-Unis – 68,3 millions contre 56,7 millions –, la marge de progression du géant de la SVOD est encore grande. Et il a tout intérêt à faire de l’œil, avant ses concurrents, aux 1,2 milliard d’habitants qui peuplent le continent africain.
France 24