Alors que la justice française devrait prononcer un non-lieu sur l’affaire Bisesero, plusieurs associations dénoncent, vendredi, une complicité de la France dans le massacre. Survie, la LDH et la FIDH espère faire durer la procédure judiciaire.
L’association Survie, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et la Ligue des droits de l’Homme (LDH) sont remontées contre l’État français. Les associations ont présenté lors d’une conférence de presse, vendredi 26 octobre, plusieurs pistes juridiques pour faire toute la lumière sur le massacre de Bisesero, au Rwanda.
Commis à la fin du mois de juin 1994, ce massacre a coûté la vie à des centaines de Tutsis avant d’être arrêté par l’armée française, présente non loin. Depuis 2005, six rescapés du massacre, des associations et d’autres parties civiles accusent la force militaire française Turquoise d’avoir sciemment abandonné des centaines de Tutsis des collines de Bisesero (ouest), du 27 au 30 juin 1994, aux génocidaires ralliés au pouvoir gouvernemental Hutu, qui bénéficiait d’un soutien ancien de Paris.
« Complicité de génocide », selon l’avocat d’une association
Les rescapés, à l’origine de la plainte en 2005, affirment que les militaires français leur ont promis le 27 juin 1994 de les secourir, pour ne le faire finalement que le 30. Pendant cet intervalle de trois jours, des centaines de Tutsis ont été massacrés dans les collines.
Au terme d’une enquête de plusieurs années, les juges du pôle crimes contre l’humanité et crimes de guerre au tribunal de Paris ont annoncé en juillet aux parties civiles la clôture de l’instruction, sans mise en examen.
Une décision judiciaire qui ne convainc pas du tout les associations. Durant la conférence de presse, l’avocat de Survie a estimé que « les faits imputés aux officiers français devraient relever penalement de la complicité de génocide« .
Les parties civiles pour une poursuite de l’enquête
Jeudi 25 octobre, les parties civiles ont adressé aux autorités judiciaires des observations, assorties de demandes d’actes, pour relancer les investigations. « Cette volonté de mettre fin à l’enquête judiciaire est prématurée et ne vous permet pas de tirer toutes les conséquences judiciaires des faits établis par les éléments du dossier », écrivent-elles.
« L’information judiciaire a en effet permis d’établir, sans contestation sérieuse possible, que les plus hautes autorités militaires françaises ont eu connaissance, dès le 27 juin 1994, de la poursuite du génocide sur les collines de Bisesero et
qu’aucune mesure, jusqu’aux initiatives personnelles de militaires de terrain le 30 juin 1994, n’a été prise pour intervenir et y mettre un terme », ajoutent-elles.
Les parties civiles estiment que l’enquête doit se poursuivre pour déterminer les responsabilités pénales individuelles de cette inaction. Elles demandent notamment aux juges de procéder à toute une série de confrontations et d’auditions de responsables politiques et militaires français de l’époque.
Une vidéo remet en cause la ligne de défense française
Cette conférence de presse intervient au lendemain de la diffusion d’une vidéo par Mediapart compromettant la ligne de défense française. Dans celle-ci, un militaire français décrit à son chef le 28 juin 1994 que des massacres de masse sont en cours à Bisesero. L’armée française n’a été au courant de ce massacre, officiellement, que le 30 juin, avant d’intervenir.
Vingt-quatre ans plus tard, le génocide au Rwanda continue d’être une épine dans le pied des relations franco-rwandaises. À de multiples reprises, le président rwandais Paul Kagame a accusé la France d’avoir été complice des génocidaires hutus. Au pouvoir depuis 2000, le chef de l’État rwandais était au moment du génocide à la tête des rebelles du Front patriotique rwandais (FPR). Ces derniers ont pris le pouvoir dès juillet 1994.
L’attentat contre le président Habyarimana toujours dans les esprits
Outre le massacre de Bisesero, l’autre dossier brûlant entre Paris et Kigali porte sur l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, un acte qui a déclenché le début du génocide, en avril 1994. Une enquête judiciaire débutée en 1998, suspendue deux fois, a finalement aboutie le 10 octobre dernier à un non-lieu.
Parmi la liste des mis en examen se trouvaient sept personnes, des partisans du président Paul Kagamé. En 2012, un rapport d’expertise français a conclu que l’avion a été abattu par des missiles tirés depuis le camp de Kanombé tenu par des loyalistes. Kigali estime que le rapport « rend justice » à sa position.
Environ 25 dossiers liés au génocide rwandais sont instruits au pôle crimes contre l’humanité du tribunal de Paris, créé en 2012 face à l’accumulation des plaintes, plusieurs auteurs présumés s’étant réfugiés en France.
Pour autant, avec l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en mai 2017, les relations franco-rwandaises pourraient prendre un nouveau tournant. Interrogé sur ce sujet le 12 octobre dernier, le président rwandais Paul Kagame a estimé qu’il pouvait « faire des progrès » avec Emmanuel Macron.
France 24